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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais
Autoren: Michel de Montaigne
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faut accommoder mon histoire à l'heure. Je pourray
tantost changer, non de fortune seulement, mais aussi
d'intention : C'est un contrerolle de divers et muables
accidens, et d'imaginations irresoluës, et quand il y eschet,
contraires : soit que je sois autre moy-mesme, soit que je
saisisse les subjects, par autres circonstances, et considerations.
Tant y a que je me contredis bien à l'advanture, mais la verité,
comme disoit Demades, je ne la contredy point. Si mon ame pouvoit
prendre pied, je ne m'essaierois pas, je me resoudrois : elle
est tousjours en apprentissage, et en espreuve.
    Je propose une vie basse, et sans lustre : C'est tout un,
On attache aussi bien toute la philosophie morale, à une vie
populaire et privee, qu'à une vie de plus riche estoffe :
Chaque homme porte la forme entiere, de l'humaine condition.
    Les autheurs se communiquent au peuple par quelque marque
speciale et estrangere : moy le premier, par mon estre
universel : comme, Michel de Montaigne : non comme
Grammairien ou Poëte, ou Jurisconsulte. Si le monde se plaint
dequoy je parle trop de moy, je me plains dequoy il ne pense
seulement pas à soy.
    Mais est-ce raison, que si particulier en usage, je pretende me
rendre public en cognoissance ? Est-il aussi raison, que je
produise au monde, où la façon et l'art ont tant de credit et de
commandement, des effects de nature et crus et simples, et d'une
nature encore bien foiblette ? Est-ce pas faire une muraille
sans pierre, ou chose semblable, que de bastir des livres sans
science ? Les fantasies de la musique, sont conduits par art,
les miennes par sort. Aumoins j'ay cecy selon la discipline, que
jamais homme ne traicta subject, qu'il entendist ne cogneust mieux,
que je fay celuy que j'ay entrepris : et qu'en celuy là je
suis le plus sçavant homme qui vive. Secondement, que jamais aucun
ne penetra en sa matiere plus avant, ny en esplucha plus
distinctement les membres et suittes : et n'arriva plus
exactement et plus plainement, à la fin qu'il s'estoit proposé à sa
besongne. Pour la parfaire, je n'ay besoing d'y apporter que la
fidelité : celle-là y est, la plus sincere et pure qui se
trouve. Je dy vray, non pas tout mon saoul : mais autant que
je l'ose dire : Et l'ose un peu plus en vieillissant :
car il semble que la coustume concede à cet aage, plus de liberté
de bavasser, et d'indiscretion à parler de soy. Il ne peut advenir
icy, ce que je voy advenir souvent, que l'artizan et sa besongne se
contrarient : Un homme de si honneste conversation, a-il faict
un si sot escrit ? Ou, des escrits si sçavans, sont-ils partis
d'un homme de si foible conversation ? Qui a un entretien
commun, et ses escrits rares : c'est à dire, que sa capacité
est en lieu d'où il l'emprunte, et non en luy. Un personnage
sçavant n'est pas sçavant par tout : Mais le suffisant est par
tout suffisant, et à ignorer mesme.
    Icy nous allons conformément, et tout d'un train, mon livre et
moy. Ailleurs, on peut recommander et accuser l'ouvrage, à part de
l'ouvrier : icy non : qui touche l'un, touche l'autre.
Celuy qui en jugera sans le congnoistre, se fera plus de tort qu'à
moy : celuy qui l'aura cogneu, m'a du tout satisfaict. Heureux
outre mon merite, si j'ay seulement cette part à l'approbation
publique, que je face sentir aux gens d'entendement, que j'estoy
capable de faire mon profit de la science, si j'en eusse eu :
et que je meritoy que la memoire me secourust mieux.
    Excusons icy ce que je dy souvent, que je me repens rarement, et
que ma conscience se contente de soy : non comme de la
conscience d'un Ange, ou d'un cheval, mais comme de la conscience
d'un homme. Adjoustant tousjours ce refrein, non un refrein de
ceremonie, mais de naifve et essentielle submission : Que je
parle enquerant et ignorant, me rapportant de la resolution,
purement et simplement, aux creances communes et legitimes. Je
n'enseigne point, je raconte.
    Il n'est vice veritablement vice, qui n'offence, et qu'un
jugement entier n'accuse : Car il a de la laideur et
incommodité si apparente, qu'à l'advanture ceux-là ont raison, qui
disent, qu'il est principalement produict par bestise et
ignorance : tant est-il mal-aisé d'imaginer qu'on le cognoisse
sans le haïr. La malice hume la pluspart de son propre venin, et
s'en empoisonne. Le vice laisse comme un ulcere en la chair, une
repentance en l'ame, qui tousjours s'esgratigne, et s'ensanglante
elle mesme. Car la raison efface les autres
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