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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais
Autoren: Michel de Montaigne
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aisee à s'insinuer, et à se
donner credit, aux premieres accointances. La naifveté et la verité
pure, en quelque siecle que ce soit, trouvent encore leur
opportunité et leur mise. Et puis de ceux-là est la liberté peu
suspecte, et peu odieuse, qui besongnent sans aucun leur
interest : Et peuvent veritablement employer la responce de
Hipperides aux Atheniens, se plaignans de l'aspreté de son
parler : Messieurs, ne considerez pas si je suis libre, mais
si je le suis, sans rien prendre, et sans amender par là mes
affaires. Ma liberté m'a aussi aiséement deschargé du soupçon de
faintise, par sa vigueur (n'espargnant rien à dire pour poisant et
cuisant qu'il fust : je n'eusse peu dire pis absent) et en ce,
qu'elle a une montre apparente de simplesse et de
nonchalance : Je ne pretens autre fruict en agissant, que
d'agir, et n'y attache longues suittes et propositions :
Chasque action fait particulierement son jeu : porte s'il
peut.
    Au demeurant, je ne suis pressé de passion, ou hayneuse, ou
amoureuse, envers les grands : ny n'ay ma volonté garrotee
d'offence, ou d'obligation particuliere. Je regarde nos Roys d'une
affection simplement legitime et civile, ny emeuë ny demeuë par
interest privé, dequoy je me sçay bon gré. La cause generale et
juste ne m'attache non plus, que moderément et sans fiévre. Je ne
suis pas subjet à ces hypoteques et engagemens penetrans et
intimes : La colere et la hayne sont au delà du devoir de la
justice : et sont passions servans seulement à ceux, qui ne
tiennent pas assez à leur devoir, par la raison simple :
Utatur motu animi, qui uti ratione non potest. Toutes intentions
legitimes sont d'elles mesmes temperees : sinon, elles
s'alterent en seditieuses et illegitimes. C'est ce qui me faict
marcher par tout, la teste haute, le visage, et le coeur
ouvert.
    A la verité, et ne crains point de l'advouer, je porterois
facilement au besoing, une chandelle à Sainct Michel, l'autre à son
serpent, suivant le dessein de la vieille : Je suivray le bon
party jusques au feu, mais exclusivement si je puis : Que
Montaigne s'engouffre quant et la ruyne publique, si besoing
est : mais s'il n'est pas besoing, je sçauray bon gré à la
fortune qu'il se sauve : et autant que mon devoir me donne de
corde, je l'employe à sa conservation. Fut-ce pas Atticus, lequel
se tenant au juste party, et au party qui perdit, se sauva par sa
moderation, en cet universel naufrage du monde, parmy tant de
mutations et diversitez ?
    Aux hommes, comme luy privez, il est plus aisé : Et en
telle sorte de besongne, je trouve qu'on peut justement n'estre pas
ambitieux à s'ingerer et convier soy-mesmes : De se tenir
chancelant et mestis, de tenir son affection immobile, et sans
inclination aux troubles de son pays, et en une division publique,
je ne le trouve ny beau, ny honneste :
Ea non media, sed
nulla via est, velut eventum expectantium, quo fortunæ consilia sua
applicent
.
    Cela peut estre permis envers les affaires des voysins : et
Gelon tyran de Syracuse, suspendoit ainsi son inclination en la
guerre des Barbares contre les Grecs ; tenant une Ambassade à
Delphes, avec des presents pour estre en eschauguette, à veoir de
quel costé tomberoit la fortune, et prendre l'occasion à poinct,
pour le concilier aux victorieux. Ce seroit une espece de trahison,
de le faire aux propres et domestiques affaires, ausquels
necessairement il faut prendre party : mais de ne
s'embesongner point, à homme qui n'a ny charge, ny commandement
exprez qui le presse, je le trouve plus excusable (et si ne
practique pour moy cette excuse) qu'aux guerres estrangeres :
desquelles pourtant, selon nos loix, ne s'empesche qui ne veut.
Toutesfois ceux encore qui s'y engagent tout à faict, le peuvent,
avec tel ordre et attrempance, que l'orage debvra couler par dessus
leur teste, sans offence. N'avions nous pas raison de l'esperer
ainsi du feu Evesque d'Orleans, sieur de Morvilliers ? Et j'en
cognois entre ceux qui y ouvrent valeureusement à cette heure, de
moeurs ou si equables, ou si douces, qu'ils seront, pour demeurer
debout, quelque injurieuse mutation et cheute que le ciel nous
appreste. Je tiens que c'est aux Roys proprement, de s'animer
contre les Roys : et me moque de ces esprits, qui de gayeté de
coeur se presentent à querelles si disproportionnees : Car on
ne prend pas querelle particuliere avec un prince, pour marcher
contre luy ouvertement et courageusement, pour son honneur, et
selon
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