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Les Dames du Graal

Les Dames du Graal

Titel: Les Dames du Graal
Autoren: Jean Markale
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désespoir, on s’y trucide allégrement ou rageusement sans grand respect pour la vie humaine. Il n’y a, dans ces récits, ni bons ni mauvais, mais des êtres qui cherchent, selon des méthodes divergentes, à établir les structures d’un monde idéal. Et comme dans toute épopée, l’hyperbole est de rigueur, toutes les actions sont grandes, exagérées et, bien entendu, provoquées par des puissances qu’il est convenu d’appeler surnaturelles. Les dieux n’interviennent plus directement comme dans L’Iliade ou L’Odyssée , mais on les reconnaît quand même sous les traits et les caractéristiques des héros. Arthur est l’image d’un antique dieu agraire, une sorte de Saturne égaré dans un monde de violence, un âge de fer, et qui rêve de reconstituer le fabuleux Âge d’or des origines. Il n’est donc guère étonnant de retrouver sous Morgane l’une des composantes essentielles du concept de la Grande Déesse : celle qui provoque, par tous les moyens, l’action humaine en permettant aux héros de se dépasser à chaque épreuve et de franchir ainsi peu à peu toutes les étapes d’un périple initiatique.
    En ce sens, Morgane est le type le plus accompli de la Femme celte telle qu’elle a été imaginée dans les anciennes traditions. À la fois guerrière, prêtresse, magicienne et en fait druidesse , elle est un peu comme cette reine Mebdh de l’épopée irlandaise qui, selon les textes, « prodigue l’amitié de ses cuisses à tout guerrier dont elle a besoin pour assurer le succès d’une expédition {102}  ». De toute façon, la puissance guerrière est liée à la puissance sexuelle, et la psychanalyse a suffisamment démontré que, dans une guerre, on prend une ville comme on prend une femme. Mais, comme Morgane possède aussi la « connaissance », elle ne se laisse pas facilement prendre : elle serait plutôt à ranger dans cette catégorie de femmes qu’on appelle improprement des allumeuses, et qui sont en fait des « révélatrices ».
    En fait, Morgane, bien qu’ayant sa propre personnalité, est la continuatrice de l’action de Merlin, du moins dans une direction, celle de la provocation. L’enchanteur, en tant que « fils de diable », se jetait constamment en travers des événements pour mieux susciter les prouesses des uns et des autres. Il provoquait diaboliquement ceux qui s’adressaient à lui, se mettant à rire chaque fois qu’une question lui était posée et faisant souvent le contraire de ce qui lui était demandé. Et si Viviane perpétue de son côté l’aspect protecteur de Merlin, notamment vis-à-vis d’Arthur et de Lancelot, il est bien évident que Morgane prolonge l’énergie créatrice dispensée par l’enchanteur. Au fond, même si Merlin a disparu aux yeux de tous, il est plus que jamais présent, telle une ombre, dans les deux femmes qui ont été ses disciples, pour ne pas dire ses complices, dans cette tentative insensée de refaire un monde selon les plans définis par un dieu absent mais dont ils savent déchiffrer les messages.
    Mais quel que soit leur degré d’initiation surnaturelle, Morgane, Viviane et Merlin sont aussi des êtres humains soumis au même destin que ceux qu’ils prétendent guider, et victimes des mêmes faiblesses que les femmes et les hommes qu’ils côtoient. C’est ce qui fait d’ailleurs leur charme et les rend parfois si émouvants ; eux aussi sont en proie au chagrin, à la douleur, aux passions les plus diverses, aux sentiments les plus nobles ou même les plus bas. Malgré toute sa sagesse, Merlin s’est laissé prendre aux pièges de l’amour. Il en sera de même pour Morgane que sa sensualité inassouvie conduira à accomplir des actes de nature à bouleverser les structures mises en place par Merlin. C’est parce qu’elle est amoureuse de Lancelot qu’elle retient le héros prisonnier. C’est parce qu’elle est jalouse de l’amour exclusif qu’il porte à Guenièvre qu’elle suscitera les calomnies, puis les accusations, contre les deux amants. Et c’est aussi parce qu’elle est envieuse du pouvoir d’Arthur qu’elle tentera d’affaiblir celui-ci au profit de sa propre puissance. Revendication féministe ? Peut-être. Morgane se sent frustrée du pouvoir, se sent rejetée par cette brillante société masculine qui l’entoure. Et elle n’oublie pas qu’elle incarne, en une certaine mesure, l’antique souveraineté, elle qui est l’image de cette déesse
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