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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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châtiment m'affectionna davantage encore à celle
qui me l'avait imposé. Il fallait même toute la vérité de cette
affection et toute ma douceur naturelle pour m'empêcher de chercher
le retour du même traitement en le méritant; car j'avais trouvé
dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui
m'avait laissé plus de désir que de crainte de l'éprouver derechef
par la même main. Il est vrai que, comme il se mêlait sans doute à
cela quelque instinct précoce du sexe, le même châtiment reçu de
son frère ne m'eût point du tout paru plaisant. Mais, de l'humeur
dont il était, cette substitution n'était guère à craindre: et si
je m'abstenais de mériter la correction, c'était uniquement de peur
de fâcher mademoiselle Lambercier; car tel est en moi l'empire de
la bienveillance, et même de celle que les sens ont fait naître,
qu'elle leur donna toujours la loi dans mon cœur.
    Cette récidive, que j'éloignais sans la craindre, arriva sans
qu'il y eût de ma faute, c'est-à-dire de ma volonté, et j'en
profitai, je puis dire, en sûreté de conscience. Mais cette seconde
fois fut aussi la dernière; car mademoiselle Lambercier, s'étant
aperçue à quelque signe que ce châtiment n'allait pas à son but,
déclara qu'elle y renonçait, et qu'il la fatiguait trop. Nous
avions jusque-là couché dans sa chambre, et même en hiver
quelquefois dans son lit. Deux jours après on nous fit coucher dans
une autre chambre, et j'eus désormais l'honneur, dont je me serais
bien passé, d'être traité par elle en grand garçon.
    Qui croirait que ce châtiment d'enfant, reçu à huit ans par la
main d'une fille de trente, a décidé de mes goûts, de mes désirs,
de mes passions, de moi pour le reste de ma vie, et cela
précisément dans le sens contraire à ce qui devait s'ensuivre
naturellement? En même temps que mes sens furent allumés, mes
désirs prirent si bien le change, que, bornés à ce que j'avais
éprouvé, ils ne s'avisèrent point de chercher autre chose. Avec un
sang brûlant de sensualité presque dès ma naissance, je me
conservai pur de toute souillure jusqu'à l'âge où les tempéraments
les plus froids et les plus tardifs se développent. Tourmenté
longtemps sans savoir de quoi, je dévorais d'un oeil ardent les
belles personnes; mon imagination me les rappelait sans cesse,
uniquement pour les mettre en œuvre à ma mode, et en faire autant
de demoiselles Lambercier.
    Même après l'âge nubile, ce goût bizarre, toujours persistant et
porté jusqu'à la dépravation, jusqu'à la folie, m'a conservé les
mœurs honnêtes qu'il semblerait avoir dû m'ôter. Si jamais
éducation fut modeste et chaste, c'est assurément celle que j'ai
reçue. Mes trois tantes n'étaient pas seulement des personnes d'une
sagesse exemplaire, mais d'une réserve que depuis longtemps les
femmes ne connaissent plus. Mon père, homme de plaisir, mais galant
à la vieille mode, n'a jamais tenu, près des femmes qu'il aimait le
plus, des propos dont une vierge eût pu rougir; et jamais on n'a
poussé plus loin que dans ma famille et devant moi le respect qu'on
doit aux enfants. Je ne trouvai pas moins d'attention chez M.
Lambercier sur le même article; et une fort bonne servante y fut
mise à la porte pour un mot un peu gaillard qu'elle avait prononcé
devant nous. Non seulement je n'eus jusqu'à mon adolescence aucune
idée distincte de l'union des sexes, mais jamais cette idée confuse
ne s'offrit à moi que sous une image odieuse et dégoûtante. J'avais
pour les filles publiques une horreur qui ne s'est jamais effacée:
je ne pouvais voir un débauché sans dédain, sans effroi même; car
mon aversion pour la débauche allait jusque-là, depuis qu'allant un
jour au petit Sacconex par un chemin creux, je vis, des deux côtés,
des cavités dans la terre, où l'on me dit que ces gens-là faisaient
leurs accouplements. Ce que j'avais vu de ceux des chiennes me
revenait aussi toujours à l'esprit en pensant aux autres, et le
cœur me soulevait à ce seul souvenir.
    Ces préjugés de l'éducation, propres par eux-mêmes à retarder
les premières explosions d'un tempérament combustible, furent
aidés, comme j'ai dit, par la diversion que firent sur moi les
premières pointes de la sensualité. N'imaginant que ce que j'avais
senti, malgré des effervescences de sang très incommodes, je ne
savais porter mes désirs que vers l'espèce de volupté qui m'était
connue, sans aller jamais jusqu'à
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