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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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fier,
impatient de joug et de servitude, qui m'a tourmenté tout le temps
de ma vie dans les situations les moins propres à lui donner
l'essor. Sans cesse occupé de Rome et d'Athènes, vivant pour ainsi
dire avec leurs grands hommes, né moi-même Citoyen d'une
République, et fils d'un père dont l'amour de la patrie était la
plus forte passion, je m'en enflammais à son exemple, je me croyais
Grec ou Romain; je devenais le personnage dont je lisais la vie: le
récit des traits de constance et d'intrépidité qui m'avaient frappé
me rendait les yeux étincelants et la voix forte. Un jour que je
racontais à table l'aventure de Scévola, on fut effrayé de me voir
avancer et tenir la main sur un réchaud pour représenter son
action.
    J'avais un frère plus âgé que moi de sept ans. Il apprenait la
profession de mon père. L'extrême affection qu'on avait pour moi le
faisait un peu négliger; et ce n'est pas cela que j'approuve. Son
éducation se sentit de cette négligence. Il prit le train du
libertinage, même avant l'âge d'être un vrai libertin. On le mit
chez un autre maître, d'où il faisait des escapades comme il en
avait fait de la maison paternelle. Je ne le voyais presque point;
à peine puis-je dire avoir fait connaissance avec lui; mais je ne
laissais pas de l'aimer tendrement, et il m'aimait autant qu'un
polisson peut aimer quelque chose. Je me souviens qu'une fois que
mon père le châtiait rudement et avec colère, je me jetai
impétueusement entre eux deux, l'embrassant étroitement. Je le
couvris ainsi de mon corps, recevant les coups qui lui étaient
portés; et je m'obstinai si bien dans cette attitude, qu'il fallut
enfin que mon père lui fît grâce, soit désarmé par mes cris et mes
larmes, soit pour ne pas me maltraiter plus que lui. Enfin mon
frère tourna si mal qu'il s'enfuit et disparut tout à fait. Quelque
temps après on sut qu'il était en Allemagne. Il n'écrivit pas une
seule fois. On n'a plus eu de ses nouvelles depuis ce temps-là; et
voilà comment je suis demeuré fils unique.
    Si ce pauvre garçon fut élevé négligemment, il n'en fut pas
ainsi de son frère; et les enfants des rois ne sauraient être
soignés avec plus de zèle que je le fus durant mes premiers ans,
idolâtré de tout ce qui m'environnait, et toujours, ce qui est bien
plus rare, traité en enfant chéri, jamais en enfant gâté. Jamais
une seule fois, jusqu'à ma sortie de la maison paternelle, on ne
m'a laissé courir seul dans la rue avec les autres enfants; jamais
on n'eut à réprimer en moi ni à satisfaire aucune de ces fantasques
humeurs qu'on impute à la nature, et qui naissent toutes de la
seule éducation. J'avais les défauts de mon âge; j'étais babillard,
gourmand, quelquefois menteur. J'aurais volé des fruits, des
bonbons, de la mangeaille; mais jamais je n'ai pris plaisir à faire
du mal, du dégât, à charger les autres, à tourmenter de pauvres
animaux. Je me souviens pourtant d'avoir une fois pissé dans la
marmite d'une de nos voisines, appelée madame Clot, tandis qu'elle
était au prêche. J'avoue même que ce souvenir me fait encore rire,
parce que madame Clot, bonne femme au demeurant, était bien la
vieille la plus grognon que je connus de ma vie. Voilà la courte et
véridique histoire de tous mes méfaits enfantins.
    Comment serais-je devenu méchant, quand je n'avais sous les yeux
que des exemples de douceur, et autour de moi que les meilleures
gens du monde? Mon père, ma tante, ma mie, mes parents, nos amis,
nos voisins, tout ce qui m'environnait ne m'obéissait pas à la
vérité, mais m'aimait; et moi je les aimais de même. Mes volontés
étaient si peu excitées et si peu contrariées qu'il ne me venait
pas dans l'esprit d'en avoir. Je puis jurer que, jusqu'à mon
asservissement sous un maître, je n'ai pas su ce que c'était qu'une
fantaisie. Hors le temps que je passais à lire ou écrire auprès de
mon père, et celui où ma mie me menait promener, j'étais toujours
avec ma tante, à la voir broder, à l'entendre chanter, assis ou
debout à côté d'elle; et j'étais content. Son enjouement, sa
douceur, sa figure agréable, m'ont laissé de si fortes impressions,
que je vois encore son air, son regard, son attitude: je me
souviens de ses petits propos caressants; je dirais comment elle
était vêtue et coiffée, sans oublier les deux crochets que ses
cheveux noirs faisaient sur ses tempes, selon la mode de ce
temps-là.
    Je suis persuadé que je lui dois le goût
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