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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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attendais le moins, je reçus une lettre de M. le bailli de
Nidau, dans le gouvernement duquel était l'île de Saint-Pierre: par
cette lettre, il m'intimait, de la part de Leurs Excellences,
l'ordre de sortir de l'île et de leurs États. Je crus rêver en la
lisant. Rien de moins naturel, de moins raisonnable, de moins prévu
qu'un pareil ordre: car j'avais plutôt regardé mes pressentiments
comme les inquiétudes d'un homme effarouché par ses malheurs que
comme une prévoyance qui pût avoir le moindre fondement. Les
mesures que j'avais prises pour m'assurer de l'agrément tacite du
souverain, la tranquillité avec laquelle on m'avait laissé faire
mon établissement, les visites de plusieurs Bernois et du bailli
lui-même, qui m'avait comblé d'amitiés et de prévenances, la
rigueur de la saison, dans laquelle il était barbare d'expulser un
homme infirme, tout me fit croire avec beaucoup de gens qu'il y
avait quelque malentendu dans cet ordre, et que les malintentionnés
avaient pris exprès le temps des vendanges et de l'infréquence du
sénat pour me porter brusquement ce coup.
    Si j'avais écouté ma première indignation, je serais parti
sur-le-champ. Mais où aller? que devenir à l'entrée de l'hiver,
sans but, sans préparatif, sans conducteur, sans voiture? A moins
de laisser tout à l'abandon, mes papiers, mes effets, toutes mes
affaires, il me fallait du temps pour y pourvoir, et il n'était pas
dit dans l'ordre si on m'en laissait ou non. La continuité des
malheurs commençait d'affaisser mon courage. Pour la première fois
je sentis ma fierté naturelle fléchir sous le joug de la nécessité;
et, malgré les murmures de mon cœur, il fallut m'abaisser à
demander un délai. C'était à M. de Graffenried, qui m'avait envoyé
l'ordre, que je m'adressai pour le faire interpréter. Sa lettre
portait une très vive improbation de ce même ordre, qu'il ne
m'intimait qu'avec le plus grand regret; et les témoignages de
douleur et d'estime dont elle était remplie me semblaient autant
d'invitations bien douces de lui parler à cœur ouvert; je le fis.
Je ne doutais pas même que ma lettre ne fit ouvrir les yeux à ces
hommes iniques sur leur barbarie, et que, si l'on ne révoquait pas
un ordre si cruel, on ne m'accordât du moins un délai raisonnable,
et peut-être l'hiver entier, pour me préparer à la retraite et pour
en choisir le lieu.
    En attendant la réponse, je me mis à réfléchir sur ma situation,
et à délibérer sur le parti que j'avais à prendre. Je vis tant de
difficultés de toutes parts, le chagrin m'avait si fort affecté, et
ma santé en ce moment était si mauvaise, que je me laissai tout à
fait abattre, et que l'effet de mon découragement fut de m'ôter le
peu de ressources qui pouvaient me rester dans l'esprit, pour tirer
le meilleur parti possible de ma triste situation. En quelque asile
que je voulusse me réfugier, il était clair que je ne pouvais m'y
soustraire à aucune des deux manières qu'on avait prises pour
m'expulser: l'une, en soulevant contre moi la populace par des
manœuvres souterraines; l'autre, en me chassant à force ouverte,
sans en dire aucune raison. Je ne pouvais donc compter sur aucune
retraite assurée, à moins de l'aller chercher plus loin que mes
forces et la saison ne semblaient me le permettre. Tout cela me
ramenant aux idées dont je venais de m'occuper, j'osai désirer et
proposer qu'on voulût plutôt disposer de moi dans une captivité
perpétuelle, que de me faire errer incessamment sur la terre, en
m'expulsant successivement de tous les asiles que j'aurais choisis.
Deux jours après ma première lettre, j'en écrivis une seconde à M.
de Graffenried, pour le prier d'en faire la proposition à Leurs
Excellences. La réponse de Berne à l'une et à l'autre fut un ordre
conçu dans les termes les plus formels et les plus durs, de sortir
de l'île et de tout le territoire médiat et immédiat de la
république, dans l'espace de vingt-quatre heures, et de n'y rentrer
jamais, sous les plus grièves peines.
    Ce moment fut affreux. Je me suis trouvé depuis dans de pires
angoisses, jamais dans un plus grand embarras. Mais ce qui
m'affligea le plus fut d'être forcé de renoncer au projet qui
m'avait fait désirer de passer l'hiver dans l'île. Il est temps de
rapporter l'anecdote fatale qui a mis le comble à mes désastres, et
qui a entraîné dans ma ruine un peuple infortuné, dont les
naissantes vertus promettaient déjà d'égaler un jour
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