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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume
Autoren: David Camus
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mutilés, raccourcis par le fil d’un sabre ou creusés par un coup de masse ; crânes dont la cervelle avait jailli et noircissait sur le sable ; sang coagulé aux commissures d’une bouche aux gencives fendues ; heaume enfermant à jamais le visage étonné d’un chevalier qui s’était cru à l’abri de la mort ; cuirasses cercueils que des armées d’insectes vêtaient d’une seconde carapace ; vrombissements d’ailes et d’élytres ; mandibules et mâchoires à la fête ; claquements de crochets et de pinces ; tressautements ; hésitations ; danses des dards, des aiguillons et des suçoirs ; antennes, langues et trompes forant, léchant, aspirant, entrant et sortant des plaies, des cavités des morts. Excités par ce festin, des corbeaux sautaient d’un corps à l’autre, sans savoir par quel mets commencer ; puis l’un d’eux s’approcha d’un archer à demi mort pour se délecter du moelleux de son œil.
    Morgennes fut pris d’un étourdissement. Ses yeux se fermèrent un instant. Il resta allongé, cherchant à se remémorer les événements qui l’avaient conduit là. Mais il ne se souvenait de rien. Ses sens étaient tout engourdis. Il éprouvait seulement le poids de sa cotte de mailles. Elle pesait incroyablement lourd, si lourd qu’elle le gênait pour respirer. Pourtant, il avait l’impression de flotter. Haletant, il chercha du plat de la main à savoir où il était. La position horizontale n’était pas celle d’un homme au milieu d’un combat. À moins qu’il ne fût mort. Ce qui n’était pas son cas, il en avait la certitude à présent. Il sentait dans sa main gantée de cuir le sable du champ de bataille, chaud d’un sang noir et épais. En fait, il gisait dans un tel bain de sang qu’il se demanda si ce n’était pas la terre elle-même qui saignait.
    Curieusement, cela lui redonna des forces. Il devait se relever, se relever car… en vérité, il se souvenait maintenant : son destrier était tombé, mortellement atteint, et l’avait entraîné dans sa chute.
    Il rassembla ce qu’il lui restait d’énergie, prit appui des deux mains sur le sable humide et se redressa. La tête lui tournait toujours, les sons lui parvenaient comme étouffés. Il délaça son bassinet, le jeta un peu plus loin et aspira, les yeux fermés, une profonde bouffée de l’air brûlant à l’odeur âcre de bataille. Puis il réfléchit. Il devait être blessé. Passant la main sur son haubert, il sentit sur son flanc gauche une profonde déchirure. Quelques anneaux d’acier avaient sauté, sa cape et son manteau étaient lacérés. Ses côtes n’étaient que légèrement meurtries, mais le coup de lance avait frôlé le cœur.
    Apercevant l’archer que le corbeau becquetait, Morgennes poussa des cris, tapa du pied, fit de grands gestes avec ses bras. L’oiseau s’envola lourdement pour aller se poser quelques mètres plus loin, en croassant de façon indignée.
    De son œil intact, l’archer parut remercier Morgennes. Mais il était bien mort, et si sa bouche esquissait un sourire, ce n’était pas à son intention.
    Morgennes ramassa son écu, puis Crucifère, son épée, et partit en quête des siens. Emmanuel, son écuyer, était-il encore en vie ? Malheureusement, ce n’était pas son cheval, dont il apercevait la carcasse, qui allait l’aider à le retrouver. L’animal s’était vidé de ses entrailles. Au-dessus de son ventre bourdonnaient autant de mouches qu’une nuit comptait d’étoiles.
    Il irait donc à pied. Mais vers où ? Et vers qui ?
    Où qu’il regardât, il ne voyait que des cadavres, de Sarrasins, de chevaux, de chevaliers, d’archers, d’arbalétriers, de piquiers et de marins, dans leur tenue de lin grossier, venus mourir à terre pour gagner trois sous. Un nombre important de turcopoles, ces auxiliaires, chrétiens pour la plupart, que les croisés louaient à prix d’or pour grossir leurs rangs, gisaient en une mosaïque informe. Leurs tuniques dépareillées, sales, souillés de poussière et de sang, se confondaient avec la terre, qu’ils recouvraient d’un sinistre linceul. Morgennes était incapable de dire où finissait le cadavre qu’il avait sous les yeux, et où commençait celui dont il apercevait, un peu plus loin, un morceau de jambe. On aurait dit un seul mort, immense amas de chairs pourrissantes étalé sur une bonne demi-lieue. Se pouvait-il qu’il fût l’unique survivant de cette armée partie exécuter la
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