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Les Amants De Venise

Titel: Les Amants De Venise
Autoren: Michel Zévaco
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Monseigneur, pour
un tel service, faites-moi grand inquisiteur. »
    Et Guido Gennaro s’inclina positivement devant le miroir.
    En se redressant, il regarda autour de lui, comme si, en vérité,
il eût été surpris de ne pas entendre la réponse du doge.
    Il éclata de rire et se frotta les mains.
    « Voilà, dit-il, voilà le discours que je tiendrai bientôt
à maître Foscari, doge de Venise par la grâce du diable.
Bientôt !… Qui sait ? Demain, peut-être !…
Allons ! allons ! à l’œuvre !… Ce Roland est
certainement un être plein de ruse. Il eût été un chef de police
presque aussi fort que moi. Mais moi, je suis encore plus fort que
lui. En effet, lui ne me devine pas, et moi, je le devine. Lui
s’imagine qu’il n’aime plus Léonore, et moi, dans tous ses actes,
je vois éclater son amour. Lui est convaincu qu’il ne doit plus
aller à l’île d’Olivolo, et moi je sais que c’est là qu’il
reviendra tôt ou tard ! Ah ! ah ! la belle Léonore
qui était là et qui nous ordonnait de nous retirer ?
Pourquoi ? Oui, pourquoi ?… Roland, mon bel oiseau bleu,
tu reviendras au nid, c’est moi qui te le prédis… au nid, à la
cage ! Allons visiter la cage !… »
    Comme on peut s’en rendre compte, Guido Gennaro, pour un chef de
police, raisonnait raisonnablement.
    Il se frotta encore les mains, c’était peut-être une manie chez
lui, puis s’étant assuré par un dernier coup d’œil au miroir qu’il
était méconnaissable, il sortit et se mit en route vers l’île
d’Olivolo. Il n’y alla pas directement. Selon son habitude, il
s’arrêta en deux ou trois cabarets et parvint ainsi à
l’Ancre-d’Or.
    Maître Bartolo le Borgne le reconnut aussitôt, malgré son
déguisement, et vint à lui avec un sourire qui montrait ses dents
aiguës. On eût dit un chacal rencontrant tout à coup un tigre et
s’apprêtant à lui faire compliment.
    « As-tu du nouveau ? demanda le chef de police.
    – Le terrible Scalabrino, le bras droit de Roland Candiano,
celui qui a démantelé le pont des Soupirs d’un seul coup de poing,
dit-on…
    – Eh bien, achève…
    – Mort ! »
    Le chef de police eut un éclair de joie dans les yeux.
    « Si tu dis vrai, Bartolo, tu as gagné dix ducats pour la
nouvelle. Mais la chose est-elle sûre ?
    – C’est moi qui l’ai tué, seigneur.
    – Toi !
    – Moi-même. Il est venu ici, je l’ai grisé, il s’est
endormi… pour ne plus se réveiller.
    – Bartolo, passe chez moi demain matin ; des
serviteurs comme toi doivent être récompensés.
    – Ce n’est pas tout, seigneur ; Sandrigo…
    – Ne me parle pas de celui-là ; c’est inutile.
    – Il est donc pris ?
    – Mieux : il a pris du service. »
    Et laissant le Borgne stupide d’effarement, Guido Gennaro
s’élança au-dehors ; plus que jamais l’épiderme de ses mains
eut à subir les rudes manifestations de sa joie.
    « Scalabrino tué ! grommelait-il, cela est un coup de
maître ! Roland, Roland, je te tiens !… »
    Il était près de dix heures lorsque le chef de la police arriva
près de l’île d’Olivolo. Il modéra alors sa course, s’éclipsa,
rampa dans les zones d’ombre, pareil à une larve nocturne.
    Il atteignit ainsi le mur d’enceinte du jardin Dandolo.
    Quelques instants plus tard, il était dans l’intérieur. En
tombant du haut du mur, il n’avait pas fait plus de bruit que n’en
peut faire une feuille sèche tombant d’un arbre.
    Guido Gennaro demeura dix minutes à la place même où il était
tombé, ne respirant pas ; la nuit étant opaque, il avait fermé
les yeux et concentré en ses oreilles toute sa force
d’inquisition.
    Aucun bruit suspect ne lui parvint.
    Alors, lentement, il se redressa.
    « De deux choses l’une, songea-t-il. Ou Roland est ici, et
je cours chercher dix hommes ; alors, mort ou vif, il est à
nous. Ou il n’y est pas, et je trouve le vieux Philippe. Il y a
longtemps que je veux faire connaissance avec cet imbécile, il peut
servir. Allons… »
    Alors il rampa à travers les massifs dépouillés de leur
feuillage.
    Parvenu vers le milieu du jardin, il s’arrêta net ; la
maison lui était visible. Et par les interstices d’un volet du
rez-de-chaussée filtrait un mince filet de lumière.
    Le cœur du chef de police se mit à battre sourdement.
    « De la lumière à cette heure-ci !… Le vieux
domestique ne veille pas tout seul… Qui est là ?… Oh ! ne
pouvoir, d’ici,
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