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Le temps des illusions

Le temps des illusions

Titel: Le temps des illusions
Autoren: Evelyne Lever
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s’éteint l’esprit du siècle deLouis XIV, mais depuis longtemps sa petite cour de Sceaux faisait figure de relique. Sa disparition a rendu sa totale liberté à la marquisedu Deffand qui a quitté la rue de Beaune en 1747 pour s’installer rue Saint-Dominique au couvent de Saint-Joseph dans l’appartement où s’était retirée Mme deMontespan après sa disgrâce. Elle reçoit maintenant dans une pièce dont les murs sont tapissés de moire bouton d’or constellés de nœuds couleur feu. À cinquante ans, la marquise du Deffand est déjà une vieille dame. Des folies de sa jeunesse, rien ne subsiste. Sa beauté s’est enfuie et elle perd la vue. Pour la consoler,Voltaire lui a dit « qu’elle était punie par où elle avait fait pécher les autres ». Mais aujourd’hui, elle ne peut plus pécher que par ironie tant les reparties qu’elle profère avec naturel sont mordantes. Elle a toujours cultivé le bel esprit, mais elle s’est prise de passion pour la raison comme d’autres pour la dévotion. Mme du Deffand donne un dîner deux fois par semaine à la compagnie qu’on rencontrait chez la duchesse du Maine, une société aristocratique raffinée qui ne dédaigne pas de se mêler à des écrivains. Le vieux présidentMontesquieu l’honore en venant chez elle et elle l’honore tout autant en le recevant. Mais la maîtresse de maison, qui cultive les gloires reconnues, s’intéresse aussi aux jeunesauteurs qui lui semblent prometteurs. D’Alembert est son favori ; elle traite avec bonté Jean-JacquesRousseau, un Genevois qui s’est fait connaître par son Discours sur les sciences et les arts et surtout par un opéra-comique joué à la Cour, Le Devin du village .Diderot n’a pas droit de cité au couvent de Saint-Joseph. Ses manières plébéiennes et ses idées révolutionnaires déplaisent à Mme du Deffand. Les étrangers se mêlent aussi aux invités comme l’envoyé extraordinaire de Danemark, JohanBernstorff, ou le comteScheffer, ministre de Suède. La marquise ne peut se passer de ses familiers, la duchesse deLuxembourg, la duchesse deMirepoix, le présidentHénault son ami de cœur (si elle a un cœur), Antoine deFerriol comte de Pont-de-Veyle, et Jean BaptisteNicolas Formont.
    Assise dans son fauteuil dont le dossier se prolonge comme une petite coupole au-dessus de sa tête et qu’on appelle son « tonneau », cette femme fragile lance ses boutades, anime la conversation et joue aux portraits avec ses convives. C’est le meilleur moyen de « faire tomber les masques », son grand divertissement. Lorsque la compagnie la quitte, elle a l’impression de retourner au néant. Faisant elle-même son portrait à l’intention de ses amis, elle n’hésite pas à écrire, en parlant d’elle à la troisième personne : « Souvent, elle tombe dans un ennui qui éteint toutes les lumières de son esprit ! Cet état lui est si insupportable et la rend si malheureuse qu’elle embrasse aveuglément tout ce qui se présente sans délibérer ; de là vient la légèreté dans ses discours et l’imprudence dans sa conduite que l’on a peine à concilier avec l’idée qu’elle donne de son jugement quand elle est dans une situation douce. »
    La cécité qui la menace l’a encouragée à prendre une lectrice auprès d’elle, Julie deLespinasse, fille naturelle de la comtesse d’Ablon sa parente. La présence de cette jeune femme a conquis les habitués du couvent de Saint-Joseph. Julie de Lespinasse sait mettre en valeur aussi bien la maîtresse de maison que ses invités.
    Mme Geoffrin, qui fréquentait assidûment Mme deTencin, savait ce qu’elle faisait et l’ancienne nonne l’avait bien compris. Elle a recueilli son héritage, autrement dit la compagnie qui entourait la sœur du cardinal. Mais grâce à la fortune qui lui vient de feu son mari, elle a les moyens de faire de sa maison le rendez-vous des lettres et des arts. Le mercredi, elle convie à dîner les écrivains, et le lundi, les artistes. En invitant des peintres, dessculpteurs, ce que personne n’a encore fait, elle leur donne la reconnaissance sociale qui leur manquait malgré leur talent. Et pourtant MmeGeoffrin n’est pas une femme cultivée. Ses connaissances littéraires et artistiques sont limitées. Elle ne possède aucun talent particulier, sinon celui de connaître parfaitement les comportements humains. C’est ce qui fait sa force. En société, elle a la sagesse de laisser parler les savants
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