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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin
Autoren: Gilbert Sinoué
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occupée depuis près
de trente-six ans par les soldats de Sa Majesté George V. Mais il fallait vivre
avec.
    En
arrivant sur le perron de sa villa, Farid perçut d'abord les sons d'un
gramophone, brusquement interrompus et suivis par des éclats de voix. Il
reconnut celles de son fils aîné Taymour et de sa fille Mona.
     
     
    *
     
     
    En
arrivant sur le perron de la villa, Farid perçut d’abord les sons d’un
gramophone, brusquement interrompus et suivis par des éclats de voix. Il
reconnut celles de son fils aîné Taymour et de sa fille Mona.
    Il aperçut
le garçon dans le salon, la mine sombre, et sa sœur, lèvres serrées, traits
tendus. Tous deux se tenaient devant le guéridon sur lequel trônait une grande
boîte à manivelle surmontée d'un cornet de laiton.
    – Que se
passe-t-il ?
    Taymour,
vingt ans, l'allure athlétique, cheveux noirs coupés en brosse, expliqua :
    – Je
disais à ma chère sœur que ce n'était pas le moment de jouer du gramophone. On
pourrait nous entendre des maisons voisines.
    Mona,
dix-huit ans, vêtue d'une longue robe en mousseline de soie pêche, figurait
bien la femme orientale : courbes chaudes, longs cheveux noirs, des lèvres
fruits. Il exhalait d'elle une sensualité qu'on devinait empreinte de pudeur et
de retenue, ce qui la rendait plus troublante encore. Elle ne fit aucun
commentaire, mais, à la tension qui habitait son visage, on voyait qu’elle n'en
pensait pas moins.
    Loutfi bey
battit des cils.
    – Que je
sache, observa-t-il, jouer du gramophone n’est en rien un crime.
    – Manifestement,
tu n'es pas au courant des derniers événements. Toute la ville est sens dessus
dessous !
    – Mais
encore ?
    – Saad
Zaghloul a réclamé l'indépendance de l'Égypte à Reginald Wingate, le haut-commissaire
britannique.
    –
Quoi ? Zaghloul ?
    Sous le
coup, Loutfi bey se laissa tomber dans un fauteuil.
    Saad
Zaghloul... Le nom de ce fils de fellah était célèbre en Égypte, notamment dans
les milieux populaires et la petite bourgeoisie. Plus haut dans l'échelle
sociale, ce leader nationaliste passait pour un trublion. N'avait-il pas, dans
sa jeunesse, à vingt-deux ans, en 1882, participé à la révolte d'Orabi Pacha
contre les Anglais ? Par la suite, il avait accédé à la fonction de
ministre de l'Éducation et de la Justice. Finalement, écœuré par la corruption
qui régnait autour de lui, il avait démissionné pour entrer en résistance.
    Aller
réclamer l'indépendance de l'Égypte aux Anglais ? Avait-il perdu la
tête ? À tort ou à raison, Loutfi bey estimait que,
depuis que la Grande-Bretagne avait imposé son « protectorat » – mot
pudique pour signifier main basse – sur l 'Égypte, personne n'avait eu à s'en plaindre à l'exception
du khédive [26] Abbas
Hilmi, qui exécrait les Britanniques. Ceux-ci s'étaient d'ailleurs vengés en le
destituant. L'administration du premier haut-commissaire, sir Henry McMahon,
avait été exemplaire et celle de son successeur, sir Reginald Wingate, aussi.
Dès lors, pourquoi ce remue-ménage ? L'indépendance de l'Égypte ne servait
pas les affaires, ni le commerce, ni la réception qu'il avait prévue ce
soir !
    Il passa
sa main sur son front et articula avec peine :
    – Mon
fils, peux-tu m'expliquer exactement ce qui s'est passé ?
    Avant de
répondre, le jeune homme ordonna à sa sœur sur un ton péremptoire :
    – Veux-tu
nous laisser, je te prie ?
    La jeune
fille ouvrit la bouche pour protester, mais il réitéra son ordre :
    – Ce n'est
pas une discussion de femmes.
    Elle quêta
du regard le soutien de son père. Lequel resta de marbre. Alors, elle se
retira, furibonde.
    À peine
fut-elle sortie que Taymour enchaîna :
    –
Accompagné par trois parlementaires, Zaghloul s'est rendu à la résidence
britannique. Il a demandé à être reçu par le haut-commissaire et a exigé ni
plus ni moins que l'Angleterre mette fin à son ingérence, qu'elle regagne son
île. Il a sollicité aussi l'autorisation de plaider cette cause devant la
Conférence de la paix qui doit se tenir dans deux mois à Paris.
    Loutfi bey
secoua la tête à plusieurs reprises. L'idée de mettre en doute les propos de son
fils ne lui traversa pas l'esprit. Voilà un certain temps déjà que, sur les
bancs de l'université égyptienne, Taymour avait noué des liens d'amitié avec le
propre neveu de Zaghloul, Ahmed Zulfikar. Ses informations étaient donc de
première main. Loutfi soupçonnait aussi le
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