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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau
Autoren: Marie Bourassa
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rien. Je pensais bien orgueilleusement à moi. Cela doit être à cause de la musique. C’est que j’ai autrefois rêvé de me faire ménestrel, vous savez.
    Sam tendit le bras, à la gauche de Louis qui était demeuré debout, pour prendre un beignet et dit, en s’asseyant :
    — Quoi, c’est vrai ? Vous, ménestrel ? Racontez-nous donc ça.
    — C’est qu’il y a très peu à dire, puisque je ne le suis pas devenu.
    Jehanne eut envie de demander : « Mais là, ce regard, que signifiait-il ? À quoi pensiez-vous pour être subitement redevenu si jeune ? » Au lieu de quoi, elle souffla :
    — Dites-nous le peu qu’il y a à dire.
    Lionel comprit d’instinct ce que le fait de parler ouvertement de lui-même impliquait : sa douce petite Jehanne cherchait à combler la vacuité laissée dans sa vie par le mutisme de son mari. Lui ne faisait jamais de confidences. Après une seconde d’appréhension, le moine dit, en s’adressant exclusivement à Jehanne :
    — Il me souvient du joli temps d’autrefois, trop vite enfui, hélas… À cette époque, vous disais-je, je rêvais de me faire ménestrel ou bateleur.
    Il rit doucement.
    — Seulement, mes parents ne trouvaient pas l’idée de leur goût. Mon père, surtout. Tu comprends, l’honneur de la famille. Les artistes, encore plus que les paysans et même les mendiants, sont la lie de l’humanité…
    — Pas tout à fait, interrompit Louis.
    — Enfin, presque. Il y a bien aussi les cagoux*…
    — Et ceux qu’on traite comme tels, dit encore Louis.
    — Bon sang, taisez-vous donc, enfin, et laissez-le placer un mot ! dit Sam avec impatience.
    Pour une fois que cet insupportable bourreau parlait, il fallait que ce soit au plus mauvais moment. Pour toute réponse, Louis administra à Sam une claque derrière la tête comme lorsqu’il était gamin. Son beignet à demi mangé roula sur la table. C’était d’autant plus humiliant qu’il valait mieux ne pas répliquer.
    Lionel et les autres firent semblant de n’avoir rien vu, et le moine reprit :
    — Hum… Comme je le disais, même si je me sentais l’âme plus vagabonde que le vent, mes parents désapprouvaient mon choix. Il suffisait déjà amplement que ce couple exemplaire ait périclité pour une autre raison – un mariage obligé – sans qu’il ait de surcroît à subir cette humiliation. J’ai donc renoncé à mon projet. Cela dit, ce n’était pas parce que mes parents savaient quoi faire de moi. J’étais l’avorton, le bon à rien de la famille, vois-tu, ce que mon père se plaisait constamment à me rappeler à force de coups de pied au c… euh, pardonne-moi cette grossièreté.
    Jehanne rit à son tour.
    — Cela ne fait rien. J’aime à vous écouter parler. Vous êtes un magicien des mots.
    — Dis plutôt que je patauge dans la rhétorique. D’ailleurs, ton mari trouve que mes prêches sont trop longs.
    — C’est vrai, dit Louis qui sirotait un peu de vin.
    Jehanne renchérit :
    — Comme de raison, puisque l’on ne peut pas, comme vous le souhaitez sans doute, expédier l’office en moins de dix mots. Non, laissez, je n’ai rien dit. Continuez, s’il vous plaît, mon père.
    — Fort bien. Comme je le disais, les premières années de ma vie ont été consacrées à mon postérieur. Pour pouvoir chanter, il fallait que j’aille me cacher dans les dépendances. Or, voilà qu’un beau jour une brise malicieuse porta la mélodie que je dédiais à un four dont la réceptivité était des plus discutables… jusqu’aux oreilles diaphanes d’une jolie demoiselle, dont je m’épris aussitôt que je la vis en train de m’applaudir depuis la grille derrière laquelle elle se tenait.
    Les yeux de Lionel explorèrent ardemment l’horizon que leur offraient les volets fermés sur la soirée hivernale. Il ajouta, d’une voix enrouée :
    — À partir de cet instant-là, je n’ai plus chanté que pour elle. Ma jolie demoiselle ! Ah, Jehanne, que de moments exquis nous avons partagés ! Elle était d’une intelligence phénoménale. J’avais même commencé à lui apprendre à jouer de la flûte. Je lui en avais fabriqué une rudimentaire avec un roseau. Moi, je chantais et je jouais du tambourin. Nous étions vraiment faits pour vivre ensemble, en parfaite harmonie, dans tous les sens de l’expression.
    Il soupira en regardant droit devant lui et déglutit péniblement. Jehanne perçut le changement et s’abstint de regarder en
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