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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs
Autoren: Michel Zévaco
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basse et tremblante, elle murmura :
    « Des preuves… une telle infamie… oh ! madame…
    – Des preuves ! exclama la courtisane. Des preuves ! J’ai moi-même surpris le complot, chez moi. »
    Un cri d’atroce désespoir s’exhala cette fois de la gorge de Léonore. Elle bondit vers la courtisane, saisit ses mains, plongea son regard dans les yeux d’Imperia.
    « Chez vous !… Vous dites que Roland est venu chez vous !…
    – Qu’y a-t-il là d’étonnant ?… Il y venait tous les soirs… un peu après minuit… »
    La jeune fille eut un tremblement de tous ses membres. Elle sentit ses yeux se voiler et ses tempes battirent violemment.
    « Madame… par pitié ! ne vous jouez pas de mon désespoir… La vérité… dites-moi la vérité… dites-moi que j’ai mal entendu… mal compris… que Roland ne venait pas chez vous…
    – C’est chez moi que les choses se sont passées, dit froidement Imperia. C’est chez moi que Roland Candiano a, la nuit dernière, commencé à exécuter son complot en frappant l’un des vôtres, seigneurs juges !… »
    Un sourd grondement parcourut les stalles, et tous les yeux se portèrent vers la place inoccupée.
    « Davila a été assassiné ! » proclama Foscari.
    Léonore avait reculé les mains à ses tempes, les yeux invinciblement attachés sur la courtisane. Et elle entendit l’abominable vérité que la courtisane expliquait aux juges :
    « Il me reste, seigneur, à vous dire pourquoi Roland Candiano a frappé Davila, le premier de vous tous… Le malheureux Davila est mourant chez moi. Il est certain qu’il sera mort demain… Voici comment la chose s’est passée : Roland Candiano a surpris Davila chez moi, dans mon palais. Il l’a frappé d’un coup de poignard. Car chacun sait que, de tous mes amants, Roland Candiano était certes le plus amoureux, et le plus jaloux… »
    Ce fut, sur les lèvres de Léonore, une plainte si navrante qu’un tressaillement de pitié parcourut les stalles du Conseil.
    Imperia penchée en avant, écoutait le gémissement, elle aussi, de toute son âme.
    Inconsciente, bouleversée, Léonore se dirigeait vers la porte, avec une seule idée encore vivante :
    S’en aller bien loin… fuir… et mourir, seule, loin de tout, mourir avec, sur les lèvres, cette plainte navrante qui lui échappait sans qu’elle en eût conscience…
    Elle atteignit la porte. Elle allait disparaître.
    A ce moment, elle s’arrêta et se retourna soudain, comme galvanisée par un espoir insensé, foudroyant, avec une clameur de joie impossible à traduire !… Altieri aussi se retourna, mais livide d’angoisse ! Imperia aussi se retourna, mais blanche d’épouvante !
    C’est qu’un huissier venait d’entrer dans la salle par l’autre porte. Et cet huissier annonçait :
    « Messeigneurs les juges, voici le noble et illustre Jean Davila qui vient prendre sa place parmi vous !… »
    Davila !… C’était Jean Davila qui venait !… Par quel prodige d’énergie ?… Comment ? Pourquoi ? Que voulait-il ?
    Ce qu’il voulait !… Se venger d’Imperia ! Tout ce qu’il y avait encore en lui de vie, d’âme et de souffle se condensait intensément dans cette volonté farouche.
    Et pour se venger d’Imperia, sauver Roland Candiano !…
    Il était venu, au risque certain d’achever par ce suprême effort ce que le poignard d’Imperia n’avait pas fait sur le coup !
    Indescriptible fut l’effet produit par la soudaine apparition des quatre laquais herculéens qui portaient un large fauteuil et entrèrent d’un pas pesant. Jean Davila était assis, livide.
    Un silence de mort pesa sur ce drame poignant.
    Alors, la voix de Foscari s’éleva :
    « Jean Davila, cette femme accuse Roland Candiano de vous avoir frappé. Vous qui allez mourir, qu’êtes-vous venu attester devant vos pairs ?… »
    Les neuf juges se penchèrent pour recueillir la parole suprême…
    Léonore ferma les yeux et joignit les mains… Imperia se ramassa sur elle-même comme pour recevoir le coup fatal…
    Jean Davila appuya ses deux mains sur les bras du fauteuil.
    Et sa voix, faible pourtant comme un souffle d’outre-tombe, retentit avec une étrange sonorité :
    « 
J’atteste… que… »
    Il haleta… ses yeux se convulsèrent…
    « Parlez ! dit Foscari. Parlez, juge qui allez comparaître devant votre juge ! »
    Davila se débattit une seconde dans un spasme.
    « J’atteste…
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