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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs
Autoren: Michel Zévaco
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somme la partie la plus facile de l’opération. Reste une deuxième partie plus délicate…
    – Explique nettement, et quant à la délicatesse, ne t’en inquiète pas.
    – Voici donc ce que je veux. As-tu, parmi tes Arétines, une ou deux filles intelligentes, dévouées, capables de tout comprendre et de tout entreprendre pour te complaire ?
    – Elles sont toutes ainsi ! fit l’Arétin, non sans un naïf orgueil.
    – Sont-elles capables d’entreprendre la destruction lente d’une vertu jusqu’ici impossible à entamer ?
    – J’en réponds.
    – Tu penses donc qu’au bout d’un mois…
    – Au bout de quinze jours, ta farouche Bianca ne sera plus reconnaissable.
    – Tu penses donc qu’une quinzaine parmi tes Arétines…
    – Je pense que la vertu est un mot, la résolution des femmes une plume qui tourne au vent. Le tout est que le vent souffle du bon côté. Je pense qu’une jeune fille qui doit avoir en elle des ardeurs ignorées d’elle-même prend son ignorance pour de la fermeté. Toi-même tu t’y es trompé. Qu’est-ce que Bianca ? Une fille de l’amour. Crois-moi, sous cette neige immaculée couve le feu que lui a transmis sa mère. Il ne faut que faire fondre la glace, et ce sera l’œuvre de mes petites Arétines, filles expertes, non seulement savantes, mais capables d’enseigner leur science. Amène-nous ton élève : les maîtresses d’amour l’attendent.
    – Ce n’est pas tout, dit alors Bembo.
    – Diable ! tu as l’amitié tyrannique.
    – Nous ferons le compte de ton amitié et de ma tyrannie, et si l’une des deux balances l’emporte, eh bien ! je rétablirai l’équilibre à poids d’or.
    – Voilà, s’écria l’Arétin, la comparaison la plus poétique, la plus magnifique qui ait jamais été brodée. Ni l’Arioste, ni le Tasse, je dirai plus, ni moi-même… »
    Bembo calma d’un geste impatient l’enthousiasme de Pierre Arétin.
    « Ecoute-moi, compère, est-ce que tu ne t’ennuies pas à Venise ?
    – Moi ! m’ennuyer dans cette ville du rire, de l’amour et des arts !
    – Eh bien, cher ami, je m’y ennuie, moi.
    – Voyage !
    – C’est justement ce que j’ai l’intention de faire. Seulement, si je voyageais seul, je m’ennuierais encore plus.
    – Ah ! ah ! tu veux donc que je t’accompagne ?
    – Tu l’as deviné.
    – C’est facile. Il n’est rien que je ne fasse pour toi.
    – Oui, mais toi-même, je suis sûr que tu ne voudrais pas laisser ici tes Arétines pendant que tu serais au loin ?
    – Je l’ai fait pour aller accomplir une mission auprès du Grand-Diable. Je puis le refaire encore.
    – Crois-moi ; cette fois, il faudra que tu voyages avec les Arétines.
    – Bon ; j’ai compris. Tu veux que je fasse sortir Bianca de Venise et pour que nul ne s’en doute, elle passerait parmi mes servantes ?
    – C’est cela même.
    – Où faudra-t-il la conduire ?
    – Je te le dirai quand le moment sera venu. Je résume : tu as touché mille écus ; je viens de te remettre un bon de quatre mille. Total, cinq mille.
    – Tu calcules admirablement.
    – Il te reste donc cinq mille écus à toucher. Je te remettrai le bon hors de Venise.
    – Donnant donnant. C’est parfait.
    – Ainsi, tu acceptes toutes mes propositions ?
    – Toutes. Ne suis-je pas ton véritable ami ? »
    Les deux compères se serrèrent la main. Puis Bembo se retira, escorté par l’Arétin, qui lui prodigua ses marques de respect devant les valets qui s’inclinaient.
    Bembo rentra à son palais, content de sa journée.
    Il trouva Sandrigo qui l’attendait.
    Le cardinal prit son air le plus riant, entraîna l’ancien bandit dans son cabinet et lui demanda :
    « Eh bien, mon cher lieutenant, à quand ce mariage ? »
    Sandrigo regarda fixement le cardinal et répondit :
    « Cela dépend de vous, monseigneur.
    – Comment votre mariage dépend-il de moi ? fit Bembo en pâlissant. Le drôle se douterait-il de quelque chose ? acheva-t-il mentalement.
    – Voici, monseigneur, dit Sandrigo. Je sors de chez la signora Imperia. Et comme je la pressais de me fixer elle-même la date de mon bonheur, elle a fini par me répondre textuellement : « Allez demander conseil au cardinal Bembo avant que nous arrêtions rien de définitif. » Je suis donc venu, je vous ai attendu, et sans vouloir vous rappeler nos conventions…
    – Que je n’ai pas oubliées, croyez-le bien, cher ami.
    – J’en suis
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