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Le combat des ombres

Le combat des ombres

Titel: Le combat des ombres
Autoren: Andrea H. Japp
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« deux », et de «  lanx  » : « plateau ». Le mot deviendra « balance » mais nous en garderons « bilan ».

Abbaye de femmes d'Argensolles, Champagne, août 1306
    L'abbaye de cisterciennes, fondée 1 à Molin 2 par Blanche de Navarre et son fils Thibaut IV de Champagne, avait d'abord accueilli des moniales venues de Liège. La puissance du monastère était devenue telle que des villages voisins songeaient à négocier leur intégration au fief indépendant de Molin afin de jouir de sa protection. Ainsi Morangis 3 avait-il offert sa forêt en échange de cette réunion.
    Tierce* venait de s'achever lorsque madame de Neyrat fut introduite dans l'ouvroir 4 . La jeune portière 5 laïque, peu habituée au monde et à ses manières, annonça après une malhabile révérence :
    – M'en va quérir not'bonne mère, madame. Ou p'têt sa grand'prieure. J'peux point prévenir vot'nièce comme ça tout d'droit.
    Aude faillit rétorquer d'un ton sec qu'elle se contremoquait de l'identité de la moniale qui examinerait sa requête pourvu que l'on fasse prestement afin de la contenter. Elle parvint à juguler cet éclat d'aigreur qui risquait de compromettre l'issue de sa visite.
    Le voyage avait été épuisant. Arrivée la veille à la nuit tombée, elle n'avait trouvé qu'une auberge crasseuse où se loger, la ville de Reims étant trop éloignée pour songer à s'y rendre. Le dos la démangeait, preuve que, en plus de la crasse, elle avait ramassé des puces sur la paillasse dégoûtante qui avait accueilli son mauvais sommeil.
    Étrange comme la vie emprunte parfois des sentiers si détournés qu'on y perd le sens. Honorius, cher Honorius. Pourquoi n'avait-il pas davantage manigancé pour atteindre le Saint-Siège ? Il en avait eu le pouvoir et les moyens, qu'ils fussent d'or ou d'esprit. Justement, l'implacable intelligence du camerlingue Benedetti était la seule qu'Aude reconnût capable de se frotter à la sienne. Si donc il avait dédaigné la lumière, c'est sans doute que l'obscurité lui seyait davantage. Un sourire étira la jolie bouche en cœur. Cher Honorius, le seul souvenir véritablement distrayant de sa vie.

    Sur dénonciation d'un neveu par alliance qu'elle avait épargné parce que son gentil minois lui plaisait, Aude avait été arrêtée par les hommes du grand bailli d'Auxerre. Ils s'étaient intéressés de près à la mauvaise fortune tenace qui frappait ses familiers. Honorius Benedetti, alors simple évêque, se trouvait en ville au moment du procès. La stupéfiante beauté qui lui faisait face lui avait rappelé d'enivrants souvenirs de folle jeunesse. L'élégant nuage blond, tout de velours émeraude vêtu, avait répondu à ses questions en le semant dans un dédale de contrevérités, de petites mines faussement contrites qu'il avait admirées en expert. Il s'était décidé : tant d'intelligence, de talent ne terminerait pas décollé par la hache du bourreau, et encore moins brûlé sur un bûcher de sorcière. Aude avait été lavée de tout soupçon et le petit neveu avait imploré son pardon. Honorius Benedetti l'avait rejointe une semaine plus tard en l'hôtel particulier hérité du mari qu'elle avait poussé dans la tombe. Les espoirs d'Honorius Benedetti n'avaient pas été déçus et cette incontinence de chair, la seule depuis son retrait du siècle, ne lui avait pas laissé le goût amer d'une erreur. Elle s'était offerte avec la fougue joyeuse d'une amante, pas d'une débitrice qui solde sa dette. Au petit matin de cette nuit folle et charmante, elle avait déclaré d'un ton navré :
    – La vie est trop courte pour tolérer que des empêcheurs la gâchent. Si les gens étaient plus sages… je n'aurais pas à les empoisonner. Jurez-moi que vous êtes un homme sage, Honorius. Je détesterais que vous disparaissiez…
    L'exquise menace avait scellé leur pacte. Car il s'agissait bien d'un pacte. Certes, Honorius avait sauvé la vie d'Aude qui ne tenait plus qu'à un fil. Pourtant, ce qui les liait était infiniment plus tenace qu'une reconnaissance. Ils étaient de la même race. Une race rare, sans doute dangereuse, mais une race capable de tout risquer pour parvenir à ses fins. Une race que ni la peur, ni l'intérêt, ni même l'amour ne pouvait contraindre.

    Le froissement d'une lourde étoffe la tira de ses souvenirs. Une petite femme chétive, ridée comme une pomme d'hiver, la contemplait, l'air grave. Aude se leva, se plia en révérence et se
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