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L'archipel des hérétiques

L'archipel des hérétiques

Titel: L'archipel des hérétiques
Autoren: Mike Dash
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navigateur. Pendant les
deux cent onze jours que le bâtiment venait de passer en mer, les quarts
s'étaient succédé sans le moindre incident qui eût mérité de faire l'objet d'un
rapport. Et cette nuit-là les conditions atmosphériques étaient relativement
favorables. Malgré le vent de sud-ouest qui soufflait en bourrasques, le temps
était propice à la navigation. Pas le moindre signe avant-coureur d'orage ou de
tempête. Le Batavia était en parfait état et, selon les calculs que
Jacobsz avait effectués la veille, il lui restait encore un bon millier de
kilomètres à parcourir avant d'arriver en vue de la première terre connue. Les
hommes de quart n'avaient donc aucune raison de faire preuve d'une vigilance
particulière. Comme il n'y avait pas grand-chose à faire à bord à cette
heure-là, ils somnolaient ou tuaient le temps en bavardant. Le capitaine était
à son poste sur le pont supérieur, à la poupe, d'où il surplombait la mer. Près
de lui, la vigie surveillait l'horizon et le timonier était à la barre, juste
au-des-sous du poste de Jacobsz.
    Peu après 3 heures du matin 4 , alors que la
vigi-lance de l'équipage était au plus bas, Hans Bosschie-ter, la vigie, fut
pris d'un doute. Depuis son poste d'où il surveillait la mer, le marin avait
aperçu à l'horizon une tache plus claire, droit devant le navire, et en
scrutant la nuit, il pensait avoir discerné une zone d'écume, comme lorsque la
houle déferle sur des brisants. Il interrogea du regard son supérieur, mais
Jacobsz répondit par la négative 5 . Cette ligne blanche qui ourlait
l'horizon n'était qu'un reflet de lune dansant sur les vagues 6 . Fort
de ce diagnostic, le capitaine maintint le cap et refusa de réduire la voilure.
    C'est donc à pleine vitesse que le Batavia se
précipita sur les récifs.
    Dans un fracas assourdissant, le gros indiaman vint
s'empaler sur les brisants qui l'attendaient à fleur d'eau, juste sur sa
trajectoire. Au moment de l'impact, une excroissance du récif 7 ,
située à cinq mètres de fond, arracha la moitié du gouvernail et, un instant
plus tard, la proue heurta la masse principale du corail. Emportée par son
élan, l'énorme coque du Batavia se souleva par l'arrière, tandis que
l'avant venait s'encastrer dans l'obstacle où il creusa un monstrueux sillon,
profond de près d'un mètre, dans un rugissement de bois torturé et de roche
pulvérisée. Tout le bâtiment hurla et vibra sous le choc, tandis que les
pointes du corail lui labouraient les flancs.
    Sur le pont, Jacobsz, Bosschieter et les cinquante membres
de l'équipe de quart furent violemment projetés sur la gauche 8 ,
contre le bastingage. Au-dessous, dans les cales sombres où s'entassaient les
hommes, comme dans les riches appartements de la poupe, les autres occupants du
navire - deux cent soixante-dix personnes au total 9 - furent jetés
au bas de leur hamac, de leur paillasse ou de leur couchette, tandis que
lampes, barils, vaisselle et cordes, arrachés à leurs supports par la violence
du choc, leur dégringolaient sur la tête. En l'espace d'une seconde, le navire
assoupi se métamorphosa en une caverne infernale de ténèbres et de chaos.
    La course du Batavia s'arrêta au bout d'une seconde
ou deux. L'énorme sillon ouvert dans le corail par son étrave repoussa la poupe
qui s'enfonça dans l'eau, imprimant à toute la coque une colossale torsion,
comme un corps vivant, monstrueusement déformé après une chute. Le rugissement
de l'impact initial s'évanouit dans la nuit, aussitôt remplacé par celui des
paquets de mer déferlant sur le bateau et par le chœur de cris horrifiés qui
montaient des entrailles du navire.
    Pelsaert fut le premier sur le pont. Dans sa cabine située
à quelques mètres du poste de Jacobsz et de la vigie, le subrécargue ne dormait
que d'un œil. Le choc l'avait fait dégringoler de sa couchette. Il s'était
affalé à terre, et s'était aussitôt remis sur pied pour se ruer hors de sa
cabine, en chemise de nuit, pâle d'inquiétude.
    Il trouva son navire en proie au chaos. Le Batavia gîtait
dangereusement à bâbord et toute sa charpente vibrait sous les coups de boutoir
des vagues qui martelaient la poupe et envoyaient la coque racler contre le
fond. Un brouillard glacial enveloppait le bateau. De furieuses bourrasques
rabattaient des paquets d'écume sur les ponts, fouettant le visage des hommes
et des femmes vêtus à la va-vite, qui commençaient à affluer, ruisselants et à
demi
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