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L'absent

L'absent

Titel: L'absent
Autoren: Patrick Rambaud
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moins des choses. En un an, j’ai vieilli de cent ans.
    — Nous avons peu de chances d’arriver à cet âge…
    — À quoi pensez-vous ? À une guerre civile quand
Sa Majesté va débarquer en France ?
    — Drouot redoute une guerre universelle.
    — Et que tout recommence, oui, mais pour combien de
temps ?
    Les voyageurs de L’Inconstant passèrent ainsi une
seconde nuit sans fermer l’œil, trop excités par l’inconnu. Mardi
28 février , écrivait Octave, le vent souffle à nouveau après nous
avoir abandonnés une journée complète, nous avons découvert les côtes de Noli
et ces monts qui dominent le cap de la Garoupe. L’équipage et les grenadiers se
sont levés pour hurler un terrible « Vive la France ! ». Ils ont
ri, bu, mangé, et pour quelques-uns, dansé comme des diables. Mercredi 1 er  mars,
par temps calme, nous voici en vue des côtes provençales et une agitation peu
commune s’empare de nous…
    L’Empereur a récompensé la vigie qui avait en premier
signalé la terre, en lui donnant toutes les pièces d’or qu’il portait sur lui,
puis il fit venir le capitaine Chautard :
    — Montez l’étoffe que nous avons dans nos malles, et
distribuez-la pour que chacun se confectionne dedans une cocarde tricolore.
    — Est-ce la peine, sire ? dit Cambronne en
montrant les grenadiers qui fouillaient leurs havresacs et en tiraient, un peu
fripées, leurs anciennes cocardes. L’un d’eux offrit même la sienne à Napoléon,
alors des vivats retentirent quand il l’épingla à son chapeau. Il y eut des battements
de mains, des trépignements de pieds à faire chavirer le brick. Il était
nécessaire de fêter le retour, et le maître d’hôtel de Sa Majesté partagea sur
son ordre ses provisions personnelles. Des bouteilles de champagne, de bordeaux
et de tokay circulèrent et M. Pons improvisa :
     
    Déjà l’Aigle chère à la France
    Devant nous sillonnant les airs,
    Revoie aux lieux où sa présence
    En imposait à l’univers…
     
    Il fallut l’interrompre, car il enchaînait ses couplets sans
fin. Il était deux heures de l’après-midi et le navire jeta l’ancre dans le
golfe Juan. Depuis le pont, tous regardaient la plage, la tour de la Gabelle
qui paraissait démunie de troupes, les magasins entre le bord de l’eau et la
grande route d’Antibes à Cannes.
    — Cambronne, dit l’Empereur, prenez quarante hommes et
placez-vous en position sur cette route, mais prenez garde, je vous sais
impulsif, surtout évitez d’utiliser vos armes. Je veux remonter sur le trône
sans qu’il soit versé une goutte de sang. Dites-le à vos soldats.
    Une barque s’éloigna vers le rivage avec Cambronne et ses
grenadiers, et, tandis que les autres se préparaient à les suivre, emportant
les bagages et les munitions, Napoléon sourit à M. Pons :
    — Vous semblez bien agité.
    — Oui, sire, je suis extrêmement ému. Après une longue
absence, je rentre en France à la suite d’une armée.
    — Où voyez-vous une armée ? Nous irons à Paris
sans tirer un coup de fusil.
     
    Octave se reposait, bras croisés, contre le tronc difforme
d’un olivier. La flottille s’était rassemblée et le brick avait arboré un
drapeau tricolore à sa corne, ensuite les bateaux avaient remis à la voile et
ils s’éloignaient après avoir débarqué le matériel et les onze cent trente-deux
hommes qui constituaient l’expédition. L’Empereur était dans les vignes, sur un
chemin de planches entre les rangées de sarments, et il envoyait ses émissaires
dans la région. Cambronne était parti avec un détachement vers la ville de
Cannes pour y acheter des mulets et des chevaux ; des officiers en civil
s’en étaient allés du côté d’Antibes, des proclamations sous le bras ; le
chirurgien Emery avait réquisitionné une voiture de passage pour qu’elle
l’emmène jusqu’à Grenoble, sa ville de naissance, où il devait avertir le
préfet de l’Isère de la situation. Les premiers villageois venus en curieux ne
semblaient pas très enthousiastes, mais plutôt inquiets à la vue des grenadiers
de la Garde, même s’ils avaient d’abord cru, en apercevant les navires à la
lorgnette, qu’il s’agissait de corsaires algériens qui avaient capturé les
embarcations de pêcheurs génois, et relâchaient au golfe Juan pour renouveler
leurs provisions d’eau.
    Les hommes nettoyaient leurs armes, ils mangeaient de la
soupe, dressaient le campement au fond d’une
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