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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange
Autoren: Arlette Cousture
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vraiment innocente
puis que t’as jamais rien vu.
    Elle fut franchement étonnée. Il n’était pas
venu au magasin plus de trois fois au cours de l’été.
    – Qu’est-ce que j’étais censée
voir ?
    – T’es innocente.
    Mal à l’aise, elle déglutit et baissa le front
en pensant : « Papa, papa, j’ai un problème. » Elle tenta de
rire, puis de s’esquiver. Conrad lui prit le bras.
    – Tu m’as jamais vu quand tu passais par
la ruelle ? Tu m’as jamais vu dans la vitrine du restaurant où j’ai dû
boire un gallon de café à tous les matins ?
    Elle fit non de la tête à chacune des
questions.
    – Mon père t’a jamais parlé de moi ?
    Elle retrouva son aplomb et dégagea son bras.
    – Oui, pour me dire qu’avec tes études tu
ferais mieux que lui.
    – C’est tout ?
    – Il me semble que oui.
    – Il t’a pas dit que ma fiancée m’avait
lâché parce qu’elle était jalouse de toi ?
    – De moi ?
    Il hocha la tête et se passa la main dans les
cheveux pour redresser le coq gominé qui lui était tombé sur l’œil.
    – T’es vraiment innocente.
    Il lui vola un audacieux baiser exactement
comme elle avait vu James Dean le faire au cinéma, puis il fit une moue à la
Marlon Brando, prit une cigarette qu’il alluma avec un Zippo, à la Humphrey
Bogart, la salua de l’index à la John Wayne et l’abandonna dans une épaisse
fumée bleue. Elle s’essuya les lèvres avec dégoût et secoua la tête, n’ayant
rien compris à la déclaration ni à l’agression inconvenantes. Elle s’empressa
de sortir du cagibi, deux lourds sacs à poignée de chez T. Eaton & Co. au
bout des bras. Elle chercha Conrad du regard, mais ne le vit nulle part. Son
trouble devait être grand car elle n’avait pas entendu le tintement de la
clochette fixée à la porte. Elle posa ses sacs et tendit la main à
M. Ballard qui, le regard fuyant, la prit dans sa main droite pour ensuite
la couvrir de sa main gauche.
    – Est-ce que mon gars t’a dit, pour sa
fiancée ?
    Elle tiqua, mais ne voulut pas répondre, se
contentant de sourire.
    – C’est que, des fois, il est un peu
bizarre quand un jupon le dérange. Mais je comprends pas, pour sa fiancée. Lui
as-tu fait des promesses ?
    – Bien sûr que non ! Je lui ai
jamais parlé !
    Elle arracha la main qu’il tenait toujours
entre les siennes et reprit ses sacs.
    – Vous allez m’excuser, monsieur Ballard,
il faut que je parte.
    – Attends, je vais porter tes affaires…
    – Non, merci.
    Il la regarda se débattre avec ses sacs et la
porte. Elle se retourna quand même pour lui faire au revoir de la tête et elle
vit tristesse et honte sur son visage. Elle sut alors qu’il avait compris ce
qui s’était passé. Encore troublée, elle sortit, puis jeta un regard autour d’elle,
mais elle ne reconnut pas Conrad derrière les volutes bleuâtres qui léchaient
la vitrine du restaurant d’en face. Les fleurs s’étiolèrent sur le comptoir.

– 4 –
     
     
    –  Ils ont
besoin de mes bras à moi ? Pour de vrai ?
    Élise ne savait si elle était ravie. Sa mère,
qui avait des nouvelles des Vanderchose deux fois par année, aux fêtes et aux
récoltes, avait offert de leur confier son aînée, le temps du ramassage des
pommes de terre, madame s’étant arraché un bout de doigt lorsqu’une porte
attirée par un courant d’air lui avait claqué dessus.
    – Et tu leur as dit que je pouvais passer
mes dernières semaines de vacances à quatre pattes dans un champ à déterrer des
pommes de terre ?
    – Oui. C’est tout un été ! Un emploi
dans un magasin en ville et deux belles semaines à la campagne. On dirait que
tes projets se réalisent, non ?
    Depuis deux ans, la simple mention du nom des
Vanderchose – il lui faudrait apprendre leur vrai nom –plongeait
Élise dans une douleur si aiguë qu’elle en vomissait. Elle avait donc constamment
reporté le moment fatidique de son séjour à la ferme. Sans le savoir, sa mère
venait de mettre fin à cette appréhension dont Élise ne s’était jamais ouverte
à personne. La jeune fille était prête à se rendre à la ferme, mais à certaines
conditions. Bien qu’elle ne fût pas superstitieuse, elle ne voulait pas prendre
le train, car elle ne voulait plus jamais revoir cette voie. Elle ne se sentait
pas à l’aise non plus d’y aller en voiture avec monsieur, de crainte de lui
porter malheur. Sa mère avait-elle décidé qu’il était temps pour elle
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