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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange
Autoren: Arlette Cousture
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que j’aimerai et qui m’aimera, le père de mes enfants, il est là,
quelque part, et je ne sais pas où. Peut-être habite-t-il juste à côté ou en
Abitibi. Et le soir, en me couchant, je me demande si je l’aurais pas croisé
dans la rue par hasard. Il me tarde de le rencontrer. Je lui raconte ma
journée, je lui confie mes rêves dans lesquels je lui demande de venir me
rejoindre.
    Blanche soupira à son tour, convaincue que
rien ni personne ne saurait résister à cette fille si douce qu’on ne pouvait
soupçonner de vivre sur un volcan.

– 3 –
     
     
    Élise tentait de mémoriser tout ce que lui
disait son patron, M. Ballard. Elle devait retenir le prix des cigares,
des cigarettes, du tabac à pipe, du tabac à cigarette et du papier à cigarette.
Elle devait aussi connaître celui des friandises ainsi que des magazines, des
journaux Le Devoir, La Presse, Montréal-Matin, Montreal Star et The
Gazette . M. Ballard l’informa de l’existence de certaines publications
qui se trouvaient dans l’arrière-boutique et qu’il était seul autorisé à
vendre. Élise rougit, comprenant qu’il parlait de magazines de sexe. Il lui
débitait le tout à une vitesse telle que, pendant un court instant, elle regretta
les religieuses qui lui mâchaient sa leçon quand elle était enfant.
    Élise avait sollicité ce travail dans une
tabagie de Park Avenue pour prendre un peu d’expérience, même si elle ne voyait
pas grand-chose dans ce job qui puisse être utile à son avenir, sauf si elle se
retrouvait sans diplômes et abandonnée. Sa mère, peut-être légèrement affolée
par ses confidences, lui chantait cette rengaine depuis maintenant plus d’un
mois. Élise avait donc décidé de ne plus lui parler de sa vie tant et aussi
longtemps qu’elle s’inquiéterait autant. Depuis la mort de son père, elle
s’était fait un point d’honneur de la protéger, et elle avait raffermi sa
décision de ne rien dire qui puisse lui causer des insomnies. Jamais elle ne
lui avait raconté l’agonie de son père.
    M. Ballard lui expliquait maintenant le
fonctionnement de la caisse enregistreuse et elle se retenait de sourire. Toute
son enfance, elle avait joué avec une caisse de plastique rouge aux touches
jaunes dans laquelle elle plaçait l’argent du jeu de Monopoly ainsi que des
pièces métalliques rondes qu’elle et sa sœur avaient trouvées sur des chantiers
de construction non loin de l’avenue du Mont-Royal. Elle adorait jouer à la
marchande. En été, elle vendait de la limonade près de l’arrêt d’autobus, encaissant
religieusement les pièces de cinq cents avant de rendre les deux cents de
monnaie. Quand il faisait extrêmement chaud, elle vendait des cubes de glace
faits avec du Kool-Aid , trois cents chacun. Une année, elle avait aussi
tenté de vendre des fleurs qu’elle avait cueillies dans le cimetière juif. Ses
parents, surtout son père, l’avaient punie, lui apprenant qu’elle avait volé.
Elle n’avait pas compris, puisque les fleurs étaient offertes à tous, personne
n’étant là pour les surveiller.
    – Aimerais-tu que quelqu’un vienne couper
des fleurs de notre jardin ?
    – C’est pas pareil ! Elles sont
presque toutes coupées, et nous, on n’est pas morts.
    Elle n’avait pas pu s’expliquer comment il se
faisait que les morts aimaient les fleurs et qu’ils ne pouvaient se passer de
quelques œillets et d’un ou deux glaïeuls. Son père l’avait forcée à rendre ses
bouquets. Il l’avait accompagnée jusqu’à la grille du cimetière et elle était
allée remettre les fleurs sur les stèles où elle les avait dérobées. Deux
vieilles dames vêtues de noir, aux yeux aussi foncés que leur manteau, étaient
recueillies devant la première stèle, et Élise, effrayée par leurs grimaces de
douleur, pires, avait-elle juré, que celles des sorcières, avait lancé les
fleurs sans cérémonie et pris ses jambes à son cou.
    – Est-ce que t’as compris ?
    Élise revint à la réalité, fit signe que oui
et referma le tiroir-caisse, après avoir bien placé les derniers billets dans
le même sens que tous les autres. Elle voyait encore quelques coupures à
l’effigie de George VI même si c’était maintenant sa fille qui souriait
péniblement sur les nouveaux billets. Regardant le visage d’Élisabeth II, elle
se dit que celle-ci ressemblait davantage à une jeune fille attifée pour un bal
de collation des grades qu’à une vraie
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