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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour
Autoren: Robert Merle
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ceux qui m’ont été fidèles que ceux que j’ai remis en foi !…
    Les envisageant alors œil à œil de la façon la plus
cajolante, et adoucissant encore le ton, il conclut :
    — Donnez à mes prières ce que vous ne voudriez donner à
mes menaces. Vous n’en aurez point de moi (ce qui était plaisant après tout ce
qu’il leur avait dit !). Faites seulement ce que je vous demande, ou
plutôt dont je vous prie. Vous ne le ferez pas seulement pour moi, mais aussi
pour vous, et pour le bien de la paix.
    Ayant fini comme il avait commencé, j’entends sur une petite
cuillerée de miel, le roi fit à ses gens du Parlement une petite inclinaison de
tête et, tandis qu’ils le saluaient profondément, il quitta la salle à pas
rapides.
    Quand je contai à La Surie l’essentiel de cette
émerveillable harangue, il ne sut s’il devait pleurer ou rire tant il se
sentait félice de la ferme résolution qu’avait montrée notre Henri de faire
passer l’Édit, qui qu’en groignât en ce royaume.
    — Ha, mon Pierre ! me dit-il, que je me sens
heureux d’être vif, sain et gaillard en cette année-là, la dernière du
siècle ! Assurément, il n’est pas donné à tout un chacun de voir finir un
siècle ! Et de le voir finir si bien par la mort du despote qui entendait
écraser l’Europe sous la tyrannie de l’inquisition, et par un Édit qui accorde
la liberté de conscience aux huguenots. Ventre Saint-Antoine ! Mon
Pierre ! Il faut boire à cette nouveauté sans précédent dans l’histoire du
monde ! L’obligation faite par un grand roi à deux religions de vivre côte
à côte dans le même royaume sans se déchirer…
     
     
    Bien me ramentois-je, lecteur, que cette nuit du
7 janvier 1599, soit que je fusse encore trémulent de l’excès de ma
félicité, soit qu’à l’incitation de mon Miroul, j’eusse bu davantage qu’à
l’accoutumée, je faillis à m’endormir. Mais au lieu de sauteler de dextre et de
senestre sur ma coite comme font d’ordinaire les insomnieux, je me contraignis
à m’aquiéter. Et me prenant alors à m’apenser dans le silence de la nuit
qu’avec la paix à la parfin revenue, le chapitre héroïque de ma vie était clos,
j’entrepris de peser et balancer en ma tête les choses de mon passé, afin que
de séparer les bonnes de celles qui me furent à perte.
    Au moment où le roi prononçait ce discours qui mit un terme
à la fronde du Parlement, j’avais quarante-huit ans, et la Dieu merci, le poil
grisonnant à peine, la membrature musculeuse et le teint clair, j’avais
assurément davantage à me glorifier dans la chair que notre bon roi Henri,
pourtant de deux ans mon cadet, mais usé par les fatigues d’une guerre
incessante. À vrai dire, je n’avais pas non plus, en mon humble sphère, épargné
mes peines ni évité les périls. Vingt-sept ans d’encharné labour au service du
trône séparaient du marquis de Siorac, Chevalier du Saint-Esprit, l’impécunieux
cadet périgordin qui, en 1572, osait promener à la Cour un pourpoint reprisé.
Il est constant que d’autres sont montés plus vite, plus haut, et à moindres
frais. Mais sans vouloir jeter la pierre à d’aucuns mignons d’Henri III,
si le progrès de ma fortune a été moins rapide que le leur, il fut acquis par
des moyens dont mes descendants n’auront pas à rougir, ni mes pairs à se
gausser sous cape.
    Mes belles lectrices n’ignorent pas, puisque je leur en ai
fait déjà la confidence, que je ne tiens pas ma vie privée pour aussi achevée
que ma carrière publique. Mais quoi ! Homme ou femme, dès lors que nous
nous marions, nous devenons l’otage de la fortune, étant évident qu’à nos
propres faiblesses s’ajoutent, sans les corriger, les fragilités d’un conjoint.
De ce côté, j’eus comme d’autres mes épines, et n’en veux pas jérémier plus
outre.
    Il n’est pas donné à tout un chacun d’être le Philémon d’une
unique Baucis, et si, sans être le seul fautif, j’ai failli là tout à trac, il
m’arrive parfois de distinguer, dans la variété de mes subséquentes amours, une
connaissance et une consolation.
    En cette nuit désommeillée que j’ai dite, je pris la
décision de n’abandonner ni la Cour – où je pourrais être encore de
quelque service au roi –, ni mon logis du Champ Fleuri, ni ma petite
duchesse. Mais la paix me désoccupant de mes missions lointaines, je me suis
proposé aussi de demeurer davantage dans ma seigneurie
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