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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire
Autoren: Zoé Oldenbourg
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dit : « Vous voilà grande et belle. » Elle le fit asseoir sur le rebord de la fenêtre. « Vous n’êtes pas fatigué du voyage ? disait-elle ; vous n’avez pas faim ? »
    Elle ne put rester longtemps avec lui ce jour-là, mais le lendemain ils quittèrent Troyes ensemble de grand matin pour arriver avant la messe au manoir de Pouilli, qui était à deux lieues de la ville. La jeune femme riait aux éclats et chantait à pleine voix, excitée par la fraîcheur de l’air. Sur les collines devant Troyes le ciel était d’un bleu très clair et une brume d’une blancheur éclatante écrasait la ville avec ses tourelles, ses remparts, ses grandes églises toutes retentissantes du son des cloches ; les derniers feux s’éteignaient sur les murs.
    À Pouilli, la salle était petite mais assez claire, les murs étaient tendus de toile peinte, et les dalles couvertes de foin. Aielot fit préparer un bain pour son frère, et le baquet fut apporté dans la salle, près de la cheminée ; elle le servit elle-même, surveillant les servantes qui massaient et frottaient le jeune homme avec des herbes douces.
    « Grattez-lui bien le dos ! disait-elle. En a-t-il un beau corps blanc ! Ce sont des épaules d’archer que vous avez là. Jacques, venez voir ! Il n’y a pas beaucoup d’hommes qui ont des bras pareils, avant vingt ans. Sibille, vous allez lui mettre du savon dans les yeux. » Elle avait tiré des coffres de son mari une chemise blanche et une robe de laine et les avait étalées sur le banc. « Vous allez voir comme il sera beau, disait-elle à son mari, toute fière. Ah ! ah ! c’est le père qui sera content de le voir.
    — Et comment va-t-il, le père ? » demanda Haguenier. Aielot écarta les bras. « Comme ça. Gros comme trois chanoines. Il ne monte plus à cheval que les jours de fête.
    — À son âge ! Déjà ! » dit le jeune homme. Aielot rit, de son rire gras et un peu rauque : « Ce ne doit pas être commode pour ses femmes, dit-elle. En ce moment, je crois qu’il fait travailler toutes les galonnières de Troyes pour votre chevalerie. Et il a trouvé pour vous un haubert en acier de Tolède à mailles si fines qu’une aiguille n’y passerait pas. Jacques l’a vu. Hein, Jacques ? Et le manteau sera en soie rouge framboise et fourré de martre. Et c’est moi qui vous tiendrai l’écu, mon Niot. Et pour les éperons, j’ai mon amie qui est la plus belle dame de Troyes qui m’a promis de vous les mettre, pour l’amour de moi. » Haguenier écoutait, les yeux brillants à la pensée de la fête et des beaux habits qu’il allait porter.
    Sa sœur le mena voir la maison – sa volière, son écurie, ses enfants – elle en avait déjà deux. « Et un troisième là, dit-elle en portant la main à son ventre. Ce sera pour après l’Assomption ; ça va me gâcher la saison des chasses. » Elle pinçait et chatouillait les deux bébés pâles, ronds, emmaillotés comme des larves ; et à force de les secouer elle finit par les faire crier et les remit au berceau. « Ils sont fatigants, dit-elle, c’est le mauvais âge. »
    Une haie basse séparait le verger du taillis de saules, de jeunes hêtres et de mûriers qui descendait en pente douce droit vers la Seine. Le long de la rive se dressait un mur de pierre haut de six pieds et percé par une poterne. Ici, parmi les saules et les pousses de chêne on cueillait au printemps des fraises par paniers ; et Aielot y descendit elle-même, en petits sabots, pour voir s’il n’y avait pas de perce-neige qu’elle pût offrir à son frère. Il avait plu la nuit, et chaque branche qu’elle tirait les inondait de gouttelettes fraîches comme la rosée. « Voyez, dit Aielot, là-bas, sur l’autre rive derrière ce bois d’ormes, cette tour ronde au tournant de la route ? C’est le château de Foulque de Mongenost, et c’est là que vit la dame dont je vous ai parlé. Si vous pouviez vous faire aimer d’elle, je ferais mon possible pour vous servir ; mais ce serait bien difficile, parce qu’elle est fière, et je crois qu’elle n’a jamais aimé. — Vous n’êtes sûrement pas comme elle, sœurette », dit Haguenier en riant.
    Aielot se redressa, et sifflota légèrement. « Ça ! non, par exemple. Je ne suis pas de ces femmes qui croient qu’un homme n’est bon comme amant qu’après qu’il s’est brisé l’échine et arraché les yeux pour prouver son amour. » Là, Haguenier fut pris
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