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La nuit

La nuit

Titel: La nuit
Autoren: Élie Wiesel
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prendre
sa main, le rassurer, lui montrer qu’il n’était pas abandonné, que j’étais tout
près de lui, que je sentais son chagrin, au lieu de tout cela je suis resté
étendu à ma place et ai prié Dieu que mon père cesse d’appeler mon nom, qu’il
cesse de crier pour ne pas être battu par les responsables du bloc.
    Mais mon père n’était plus conscient.
    Sa voix pleurnicharde et crépusculaire continuait de percer
le silence et m’appelait, moi seul.
    Alors ? le S.S. se mit en colère, s’approcha de mon
père et le frappa à la tête : « Tais-toi, vieillard ! tais-toi ! ».
    Mon père n’a pas senti les coups du gourdin ; moi, je
les ai sentis. Et pourtant je n’ai pas réagi. J’ai laissé le S.S. battre mon
père. J’ai laissé mon vieux père seul agoniser. Pire : j’étais fâché
contre lui parce qu’il faisait du bruit, pleurait, provoquait les coups…
    Leizer ! Leizer ! Viens, ne me laisse pas seul…
    Sa voix me parvenait de si loin, de si près. Mais je n’ai
pas bougé.
    Je ne me le pardonnerai jamais.
    Jamais je ne pardonnerai au monde de m’y avoir acculé, d’avoir
fait de moi un autre homme, d’avoir réveillé en moi le diable, l’esprit le plus
bas, l’instinct le plus sauvage. (…)
    Sa dernière parole fut mon nom. Un appel. Et je n’ai pas
répondu.
    Dans la version yiddish, le récit ne s’achève pas avec le
miroir brisé, mais une méditation plutôt pessimiste sur l’actualité :
    … Et maintenant, dix ans après Buchenwald, je me rends
compte que le monde oublie. L’Allemagne est un État souverain. L’armée
allemande est ressuscitée. Ilse Koch, la femme sadique de Buchenwald a des
enfants et elle est heureuse. Des criminels de guerre se promènent dans les
rues de Hambourg et Münich. Le passé s’est effacé, relégué à l’oubli.
    Des Allemands et des antisémites disent au monde que toute
cette histoire de six millions de Juifs assassinés n’est qu’une légende et le
monde, dans sa naïveté, le croira sinon aujourd’hui, demain ou après-demain…
    … Je ne suis pas assez naïf pour croire que ce volume
changera le cours de l’histoire et secouera la conscience de l’humanité.
    Un livre n’a plus le pouvoir qu’il avait autrefois.
    Ceux qui se sont tus hier, se tairont demain.
    Autre question que le lecteur aurait le droit de nous poser :
pourquoi cette nouvelle édition, alors que la première existe depuis
quarante-cinq ans ? Si elle n’est pas assez fidèle ou bonne, pourquoi
avoir attendu si longtemps pour la remplacer par une qui serait meilleure et
plus proche de l’original ?
    Ce que je dis de la traduction anglaise vaut pour le
français. Dois-je rappeler qu’à cette époque-là, j’étais un débutant inconnu et
mon anglais, comme mon français d’ailleurs, laissait encore à désirer ? Lorsqu’un
éditeur londonien, m’informa l’agent des Éditions de Minuit, Georges Borchardt,
eut trouvé une traductrice, je lui répondis merci. J’ai lu la traduction et
elle m’a paru satisfaisante. Puis je ne l’ai plus relue. Entre-temps certains
de mes autres ouvrages eurent le bonheur d’être traduits par Marion, mon épouse.
Traductrice hors du commun, elle connaît ma voix et sait la transmettre mieux
que quiconque. J’aide la chance : invitée par les éditeurs de Farrar, Strauss
Giroux à préparer une nouvelle traduction, elle accepta. Je suis convaincu que
les lecteurs lui en seront reconnaissants. Grâce à elle, il me fut permis de
corriger çà et là une expression ou une impression erronée. Exemple : j’évoque
le premier voyage nocturne dans les wagons plombés et je mentionne que
certaines personnes avaient profité de l’obscurité pour commettre des actes
sexuels. C’est faux. Dans le texte yiddish je dis que « des jeunes garçons
et filles se sont laissés maîtriser par leurs instincts érotiques excités. »
J’ai vérifié auprès de plusieurs sources absolument sûres. Dans le train toutes
les familles étaient encore réunies. Quelques semaines de ghetto n’ont pas pu
dégrader notre comportement au point de violer coutumes, mœurs et lois
anciennes. Qu’il y ait eu des attouchements maladroits, c’est possible. Ce fut
tout. Nul n’est allé plus loin. Mais alors, pourquoi l’ai-je dit en yiddish et
permis de le traduire en français et en anglais ? La seule explication possible :
c’est de moi-même que je parle. C’est moi-même que je condamne. J’imagine que
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