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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix
Autoren: Gilbert Prouteau
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mur, les bras croisés. Blafard.
    Napoléon se soulève hors de sa baignoire et tend les bras au maréchal. Il glisse et retombe si pesamment que des gerbes d’eau éclaboussent le visiteur dont l’uniforme est ocellé de larges gouttes.
    —  Ah, Davout, si vous saviez... Je les avais, je les tenais. C’était fini. Il a suffi de trois pauvres têtes. D’Erlon, Grouchy. Et Ney...
    —  Il s’est mis la corde au cou pour vous, sire, dit Davout. Mais tout peut-être sauvé à condition de prendre des dispositions immédiates.
    —  Qu’entendez-vous par là   ?
    —  Avant de repartir il faut dissoudre les Chambres.
    —  Non, monsieur le maréchal, j’espère que les Chambres me seconderont et qu’elles sentiront la responsabilité qui va peser sur elles   ; vous avez mal jugé, je crois, de leur esprit   ; la majorité est bonne, elle est française. Je n’ai contre moi que La Fayette, Lanjuinais, Flaugergues et quelques autres. Ils ne veulent pas de moi. Je le sais. Je les gêne. Ils voudraient travailler pour eux   : je ne les laisserai pas faire, ma présence ici les contiendra. J’irai leur exposer la situation s’il le faut {17} . Si les dispositions des représentants sont mauvaises, moi à Paris, elles le seraient bien davantage, moi absent. Les mesures arrêtées, le mouvement national imprimé, je repartirai ce soir ou demain pour l’armée.
    Davout s’accroche.
    —  Sire, avant de repartir pour l’armée, il faut dissoudre les Chambres.
    —  Comment   ! Mais la Constitution   !
    —  Sire, la Constitution vous y autorise.
    L’Empereur émerge de la baignoire et tandis que Marchand éponge ses épaules   :
    —  Non, Davout, pas ça, pas ça...
    —  Pourquoi   ?
    —  C’est un coup de force.
    À Davout de lever les bras au ciel.
    —  Mais vous ne violez pas la Constitution   ! Vous n’exercez que votre droit   ! D’abord il faut venir vous expliquer au Conseil des ministres.
    —  Je vais leur parler. Attendez-moi à la salle du Conseil.
    Davout insiste   :
    —  Sire, c’est maintenant qu’il faut venir au Conseil des ministres.
    —  Bon, eh bien, je vais me faire la barbe, il ne faut pas que je me présente comme un épouvantail.
    Pendant que Marchand active la mousse dans le plat d’étain, Napoléon observe son visage dans le miroir. Un miroir qui lui renvoie une outre cireuse, voilée de buées.
    Marchand le frictionne, lui endosse un peignoir et lui passe ses bas. Il continue de parler seul. Des mots incompréhensibles ponctués de soupirs et d’ahans.
    Davout s’éloigne quelques instants, le front appuyé à une fenêtre   ; il ne voit pas à ses pieds la voiture de Napoléon attelée et toute prête à le conduire au palais Bourbon. Elle y restera ancrée toute la journée. Le soir M. de Montaran fera dételer. Cet attelage va demeurer en rade dans la cour de l’Élysée alors qu’il aurait suffi de parcourir mille cinq cents mètres pour changer le cours des événements. Mais Davout n’a pas un regard pour le char de la Providence. Il est obsédé par l’idée d’entraîner Napoléon au Conseil. Il revient à la charge   :
    —  Sire, on n’attend plus que vous.
    —  C’est bien, dites-leur que j’arrive.
    Tassé sur lui-même, boursouflé, bedonnant, recru de fatigue et de nuits blanches, assailli par le doute, tenaillé par la douleur, Napoléon Bonaparte revêt l’habit vert, endosse la redingote grise, coiffe le chapeau de castor noir. Et l’homme exténué, avachi, foudroyé se redresse, reprend la silhouette de la légende et marche vers son destin.
    L’Empereur traversait la galerie du Conseil entre deux haies de visages silencieux. Joseph a rameuté les ministres. Fracs, chamarrures et commanderies. Angoisse, expectative et désolation.
    Napoléon parcourt d’un bref regard cette assemblée muette, sérail d’ambitions et de servitudes, de calculs et de servilités, de cynisme et de dévotions. Services passés, doutes naissants, trahisons futures...
    Lequel va me trahir le premier ?
    Il scrute les visages. Attentifs. Crispés. Avec deux ou trois au bord des larmes. Judas s’est assis au bout de la table. Poudré, blême, hiératique   : Fouché.
    Autour de lui, Maret, duc de Bassano, servile et obtus. « Je ne connais qu’un homme plus bête que Maret, avait dit Talleyrand, c’est le duc de Bassano {18} . »
    Voilà Lucien, revenu de son exil anglais, et Joseph, généreux, vaniteux, jaloux, inconsistant,
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