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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate
Autoren: Pierre Naudin
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d’Argouges ne pouvait sourire : il en avait perdu l’usage, et c’étaient deux larmes, petites et ternes, qui révélaient son émoi et sa gratitude. Quant à Aude, enlacée à Thierry, il était temps qu’elle vécût selon son âge à défaut de vivre encore selon son rang. Ses cheveux dont l’éclat s’était affadi se nouaient en mèches désordonnées ; son teint laiteux devenu tout simplement pâle lui faisait un visage de vierge martyre. Elle devait inspirer à Champartel moins d’envie que de pitié. Sous sa robe de tiretaine grise, rapiécée, on devinait un corps souple et tendre – malade.
    – Père, dit-elle, baisant la joue flétrie du vieillard, il vous faut rire un tantinet… Ogier doit savoir que vous êtes heureux.
    – Il y viendra, affirma Jourden au bas des marches. Faut le comprendre, Ogier : nous étions à bout, et lui plus qu’aucun autre…
    Le prodige de la joie revigorante n’aurait pas lieu. C’était concevable, après tout. Et il était désarmé, lui, Ogier, pour combattre un tel sentiment de déception et d’anxiété : « Père sait qu’il mourra bientôt… Nous le savons tous ! » Volontairement ou non, Aude le secourut :
    – Nous avons su, mon frère, par Raymond et Marcaillou, ce que tu as fait à Chauvigny… Père s’est tourmenté… Comprends-tu ?
    – Je me désespérais, dit Godefroy d’Argouges. Et c’en fut trop pour moi…
    – Je vous comprends, Père… Je vous conterai cela… J’ai souffert… J’ai prié et je fus exaucé… Il s’en est fallu de fort peu que je ne meure…
    – Raymond nous a dit aussi, pour Adelis…
    Le garçon ne sut que répondre. Ses nerfs craquaient. Comblé d’affection, sans turbulence mais sans retenue, l’ombre d’Adelis, soudain, tombait sur lui. Adelis enterrée au bord de la Vienne… Il fallait qu’il lui fît donner une sépulture… Il avait aussi un devoir envers elle : la venger… Toujours le devoir et toujours la vengeance !
    Voyant sa sœur se laisser aller contre Thierry, si blanche auprès du fer noir de l’armure, il fut certain qu’elle serait heureuse.
    – Il a été armé chevalier par le roi.
    Godefroy d’Argouges tourna son regard larmoyant vers l’ancien fèvre :
    – C’est bien… Il faudra, mes enfants, vous marier sans tarder…
    Un afflux de rose anima les pommettes d’Aude tandis que Thierry pâlissait de voir ses désirs comblés si promptement.
    – Père, c’est bien parlé. Ce mariage auquel je tiens autant que vous marquera la fin de notre géhenne… Vos armes sont réhabilitées ; votre honneur sort grandi de cette longue épreuve… Votre demeure sera remise en l’état ancien…
    – Je sais, mon fils. Sans eux, Gratot ne serait plus depuis longtemps déjà…
    Le vieillard s’était tourné vers ses serviteurs. Jourden eut un rire étranglé :
    – L’important, messire baron, c’est que nous soyons réunis avec l’assurance que la vie en ces lieux sera désormais comme avant !
    – Et comment qu’on sera heureux ! s’écria Isaure. Faudra, les femmes, faudra, les hommes, rattraper le temps perdu !
    Elle rit avec une satisfaction, une plénitude qui entraîna ses compagnons. Leur âme était simple, ondoyante au point que déjà la plupart d’entre eux ne songeaient plus aux duretés passées ; et ceux-là mêmes qui avaient le plus douté de l’avenir recouvraient au fond de leur cœur, sous la lie déposée par tant de jours funèbres, une joie de vivre imprévue. Et tandis qu’il savourait cette joie, tandis qu’il s’en imprégnait, abandonnant un instant son père, les yeux d’Ogier allèrent d’un visage à l’autre, lentement, pour découvrir combien l’expression béate de tous ces hommes et de toutes ces femmes se lestait, à son égard, d’une ferveur et d’une reconnaissance éperdues. Il pouvait même deviner, en une intuition agréable, chez les hommes d’armes auxquels il s’était abstenu de conter ses malheurs, mais qui venaient d’en apprendre l’essentiel, une admiration franche, à la mesure de leur rudesse native. Un moment, pendant que tous s’animaient et que chacun des serviteurs, au gré de l’amitié, aidait les inconnus à desseller leur cheval ou à débâter les mules, tout en les accablant de questions, le père et le fils demeurèrent immobiles devant cette cour en liesse, goûtant avec une intensité si forte qu’elle en devenait douloureuse la griserie d’être côte à côte, et
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