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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans
Autoren: Jean Grangeot
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pataud. Se marier à mon âge me semble stupide.
Au fond, je me conduis comme tous mes frères compagnons du Tour de France qui,
après avoir roulé leur bosse, finissent comme des bourgeois.
    Quand il me revient en mémoire les quelques femmes que j’ai
rencontrées, je constate qu’aucune d’entre elles ne m’a vraiment marqué. Toute
ma vie, je n’ai vécu que d’aventures à la petite semaine ; j’ai vu et
touché des corps à la peau douce ou granuleuse, entendu des mots provocateurs
et fait des gestes instinctifs. En somme, je n’ai jamais fait que suivre
conseil de mon gros Ours : « me faire ramollir ». Les sentiments
étaient toujours absents lors de ces rapports amoureux.
    Je ne sais combien d’années il nous reste à vivre, mais je
voudrais que nous les dégustions comme des gourmets qui ont connu la disette.
Dans un salon de l’ambassade, nous prononçons l’un après l’autre un
« oui » à l’amour et à la vie. Julie est très émue et moi je serre un
peu les dents. Je pense à tous les miens qui me regardent depuis le nadir ensoleillé
de la sphère céleste. Les applaudissements et les embrassades me font
redescendre sur terre. Dans la grande salle de l’Union des Français a lieu un
lunch préparé par un traiteur. Chacun se régale et la bonne humeur règne dans
ce petit coin de France. Sur une table s’amoncellent des cadeaux. Julie,
délicatement, ouvre un à un les paquets sans chercher à dissimuler un plaisir
ponctué par des petits cris de joie.
     
    J’ai gardé une surprise pour Julie. Il s’agit de l’achat
d’une « quadrillette Renault » de 1922, gris clair, décapotable et
biplace avec des roues à rayons. Un compatriote l’avait conduite jusqu’à
Bucarest depuis Lyon. Le pauvre homme, accidenté en descendant un escalier, a
demandé son rapatriement et m’a vendu sa voiture. Le lendemain de nos noces,
j’emmène ma femme, ravie de mon acquisition, à Constanta sur la mer Noire. Nous
passons par Lupsanu, Càlàrasi et Adamclisi, puis nous remontons en direction de
Medgidia, Besarabi et Constanta où nous restons quelques jours avant de gagner
Agigea puis Estorie Sud. Tout le long de notre route, sous un soleil radieux,
nous admirons la grande plaine valaque couverte de cultures, puis les ruines du
Municipium Trajani. Julie m’explique le nom de la petite ville d’Adamclisi,
d’origine turque, qui signifie « église de l’homme ». À Besarabi, ma
femme ne se lasse pas de contempler des jacinthes sauvages, des œils de faisans
printaniers et des pivoines des steppes. Nous goûtons le vin local, le
Murfatlar, qui accompagne agréablement le dessert et possède un bouquet rare de
fleur d’oranger. La plage d’Agigea, au sable fin, nous prépare à de bons bains
de mer. La station d’Estorie Sud possède quelques hôtels neufs du début du
siècle et nous en apprécions tout le confort. Au retour, nous faisons une
incursion à Terehirghiol, célèbre par ses bains de boue curatifs que nous nous
contentons de regarder. La voiture roule très bien. Je ne vais pas vite et
prends tout mon temps. Je découvre la décontraction. Mille Dieux que c’est
bon ! Julie, de plus en plus charmante, ne connaissait pas plus que moi
les vraies vacances en toute liberté.
    À notre retour, nous constatons que la
« libràrie » a bien marché. Ionna, tout heureuse, nous avoue que sa
solitude lui a donné de l’assurance. Toutefois, elle déplore l’état de santé
d’un vieil oncle et demande à son tour de partir pour l’assister lors de ses
derniers moments.
    — Partez dès maintenant et prenez le temps qu’il faut.
Je regrette que ce soit dans cette malheureuse perspective, répond Julie.
Tenez-moi au courant.
     
    Les jours passent tranquilles et doux. Je m’aperçois des
bienfaits que la vie en commun peut apporter, mais observe néanmoins de près
les mouvements politiques roumains et étrangers. Ferdinand I er est mort en 1927 et j’ai assisté, comme bien d’autres résidents, à la naissance
de la « garde de fer » dirigée par Corneliu Zlea Codreanu. Durant
cette période de transition de trois ans, il lui fut facile de rallier à sa
cause tous les mécontents. Le roi en mourant avait laissé son trône à un enfant
de six ans, Michel, dans l’impossibilité de régner. Le gouvernement appelle
enfin au pouvoir le roi Carol II qui tente de diriger le pays avec l’aide
des partis politiques traditionnels. La crise économique, après
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