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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans
Autoren: Jean Grangeot
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première fois de ma vie
que je me balade comme un emprunté un bouquet dans les bras et je ne sais comment
le tenir.
    — Quelle délicatesse de votre part Adolphe !
Personne ne m’offre de ces trésors de la nature, merci infiniment.
    Mon hôtesse a mis les petits plats dans les grands.
    — Ce canard est merveilleux, cuit juste comme il faut. Vous
êtes un cordon bleu Julie.
    — Et vous, le meilleur des hommes, Adolphe.
Resservez-vous de ce Dealul Mare. Pour le dessert, j’ai pris un Feteasca qui je
pense ira bien avec le traditionnel gâteau au chocolat que j’ai amélioré au
goût des Francaz ou Frantuz, comme les Roumains nous appellent.
    Je me régale, c’est vrai, mais moins que de son regard. Nous
bavardons de tout et de rien. Nos silences sont encore plus riches que nos
conversations. Nous prenons le café sur un canapé chargé de coussins
multicolores et alors nos mains se rejoignent. Elle est dans mes bras, sa tête
sur mon épaule. On dirait deux puceaux qui ne savent comment s’y prendre. Toute
la nuit, dans son grand lit, elle laisse s’épanouir sa sensualité de femme de
cinquante ans, tandis que je découvre que mes sens et mon cœur n’étaient
qu’endormis. Au cours de la nuit, nous échangeons des confidences, et nous nous
avouons nos goûts, rêves et défauts.
    — Quand tu as pénétré la toute première fois dans ma
boutique, j’ai eu le secret désir que tu me prennes dans tes bras. Je savais
déjà que je ne te résisterais pas. C’est un amour fou que nous vivons Adolphe.
Qu’allons-nous devenir ? Qu’allons-nous en faire ?
    — Le garder comme un bien précieux, en le savourant
doucement. Dire qu’il a fallu que je vienne dans ce pays-là pour connaître le
début du bonheur !
    — Tu le regrettes ?
    — Oh ! pas du tout. Ciel non ! Tu me rends à
la vie, à la santé. Je me sens à nouveau fort, presque indestructible. Je vais
travailler pour toi, me battre pour nous.
    — Tu m’effraies Adolphe, fait-elle en riant. Tu es
transformé.
    — Oui, grâce à toi et grâce à un petit lexique qui vaut
à cette minute autant que la canne que je t’ai montrée hier.
    — Nous allons apprendre à mieux nous connaître pour
mieux nous aimer.
    — Nous allons dévorer la vie à pleines dents, ma
chérie. Il faut rattraper notre retard ensemble.
    Les jours passent. Je m’occupe activement de faire remplir
mes wagons, puisque je suis devenu ferrailleur ! Da Costa s’en amuse et me
félicite des conditions de vente que j’ai obtenues.
    — Tu es un bon commerçant, Adolphe. Cinq pour cent de
mieux c’est beau, surtout avec Tuttarescu. Tu m’invites à déjeuner pour la
peine. Les premiers wagons partiront en fin de semaine. J’ai vu Brunesco qui
m’en fait venir cinq autres par une relation à lui.
    J’ai quitté mon hôtel et habite chez Julie au premier étage
au-dessus de la librairie. Toute la journée, je fais le siège des
ministères ; le soir, nous allons prendre l’apéritif chez Mircea.
    Après un moment de surprise, les clients et nouveaux amis me
disent un mot aimable. Brunesco me félicite de ma conquête :
    — Tu as gagné là où j’ai échoué. Bravo Adolphe !
Tu as trouvé une femme merveilleuse, encore jolie et intelligente. Sois
heureux, mon frère.
    Je sens que des affaires vont m’être proposées. Blanchon m’a
bien introduit auprès de deux banques à la recherche d’experts forestiers et
avec l’arrivée des livraisons de ferrailles, j’ai reçu mon premier chèque de
Resita.
    Début mars, je procède à une expertise de forêt entre Vaslui
et Iasi en Moldavie, région située à l’est, à cinquante kilomètres de la
frontière russe. Le train me laisse à Vaslui où je loue un traîneau tiré par
deux chevaux et conduit par un cocher. À l’aller, tout va à peu près bien. Les
fûts sont splendides, très droits, faciles à abattre. Au retour, l’un des
chevaux fait un écart, entraîne l’autre et nous nous retournons. Plus de peur
que de mal, mais une horde de loups nous observe. Je vois nettement un vieux
mâle me fixer de ses yeux d’or. L’automédon récupère les chevaux et remet le
traîneau sur ses patins. Je dispose d’un revolver et d’une hache. Le visage de
Julie m’apparaît et cette image me donne force et courage. J’abats trois bêtes
à l’aide de mon arme et cours droit sur les autres la hache à la main en
hurlant. J’ai tué le chef de la meute ainsi que deux autres loups. Je fends
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