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Jean sans peur

Jean sans peur

Titel: Jean sans peur
Autoren: Michel Zévaco
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cette vision une seule clameur formidable :
    – Liberté ! Liberté !…
    Au loin, c’était la masse confuse et désordonnée des bandes populaires poussées, repoussées par ses propres flux et reflux. Mais devant l’escadron d’Armagnac une troupe disciplinée, bien armée, composée d’un millier de combattants, barrait la route.
    Chose étrange et véridique pourtant, il y avait dans cette troupe autant de femmes que d’hommes ; jeunes ou vieilles, belles ou laides, toutes, c’étaient des femmes du peuple, vêtues de haillons, décidées en ce jour à mourir ou à gagner la liberté ; elles avaient des physionomies farouches, et dès que l’escadron se heurta à leur troupe, par un rapide et violent mouvement, elles repoussèrent les hommes et se trouvèrent les premières devant Armagnac, sur cinq ou six rangs de profondeur, occupant toute la largeur de la rue et criant :
    – Liberté ! Liberté !…
    L’escadron prenait son élan pour faire sa trouée. Les épées se levaient. Les lances tombaient en garde… À la vue de ces femmes, le comte d’Armagnac leva l’épée et fit le signe d’arrêt. L’escadron s’immobilisa. Un indéfinissable étonnement entra dans l’âme du comte et il murmura :
    – Des femmes !… Comment charger des femmes ?
    Un instant, quelque chose comme un frisson remua son cœur : pour la première fois, il voyait sous ses yeux la misère du peuple ; ce fut peut-être de la pitié, mais l’orgueil aussitôt l’emporta. Il cria :
    – Allons, femmes, laissez-nous passer !
    Un hurlement de la foule répondit. Des cris se croisèrent, des ricanements, des menaces.
    – Qu’est-ce qu’il dit, ce sacripant ? – Armagnac n’est plus le maître de la chaussée ! – Vive la liberté ! Hourrah ! Hourrah ! – Mort aux affameurs ! – Mort à la gabelle ! – Mort à la seigneurie ! – Mort aux Armagnacs !…
    Bientôt ce fut la clameur de mort qui s’enfla, domina, balaya tous les autres cris. Et jusqu’au fond de la rue, au loin, très loin. Armagnac et ses seigneurs virent la houle de la foule se briser, se déchaîner ; cela déferla ; ce fut une vaste vision de visages convulsés, une énorme haine émiettée sur la multitude des physionomies fulgurantes, et ce leur fut l’inexprimable sensation qu’ils étaient des maudits, et cela exalta leur orgueil ; il n’y eut plus pour eux l’horreur de piétine, des femmes, et de l’escadron d’acier monta le terrible grondement de la bataille :
    – En avant ! En avant !…
    Soudain la foule reflua !…
    Le bataillon serré des femmes s’ouvrit !…
    Il ne s’ouvrit pas devant la menace de l’escadron d’acier. Et l’escadron, surpris par cette manœuvre imprévue, demeura figé dans son élan, redoutant le coup d’embuscade…
    Mais non ! Ces femmes, ces malheureuses qui étaient la figuration vivante de tant de misère accumulée, ne méditaient aucun guet-apens. Elles se reculaient pour laisser passer. Un revirement brusque, inouï, incompréhensible d’abord, venait de se faire dans leurs esprits surchauffés. Et elles criaient :
    – La dame d’Orléans ! C’est l’escorte de la dame d’Orléans ! – Noël à la bonne dame d’Orléans ! – Laissez passer la dame d’Orléans ! – Elle a sauvé mon mari ! – Elle a tiré mon fils du Châtelet ! – Elle nous a secourus dans la misère ! – Vive la dame d’Orléans ! – Honneur et respect à l’ange du peuple !…
    Voilà les cris délirants qui se heurtaient. La pitié populaire sauvait l’épouse du grand féodal…
    Le chemin était libre. L’escadron s’avança, franchit la barrière vivante qui s’était dressée devant lui et venait de s’ouvrir. Il s’enfonça dans la foule. Mais au bout de deux cents pas, ce n’étaient plus des femmes acclamant la duchesse d’Orléans, c’étaient des hommes qui refluaient à droite et à gauche en grondant.
    Bientôt l’escadron tout entier, par devant, sur les flancs, par derrière, fut enveloppé de cette écume humaine qui déferlait, l’éclaboussait ; bientôt ce fut une formidable étreinte ; des estramaçons se levèrent et retombèrent sur des crânes ; d’en bas, des piques frappèrent les chevaux : la bataille allait devenir mêlée, la mêlée allait devenir effroyable tuerie ; deux seigneurs tombèrent ; autour de l’escadron, des hommes s’affaissaient, le sang jaillissait, l’écume humaine devenait rouge ;
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