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Je n'aurai pas le temps

Je n'aurai pas le temps

Titel: Je n'aurai pas le temps
Autoren: Hubert Reeves
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trouvait une documentation illustrée en noir et blanc sur différentes régions et peuplades. Comme les timbres, ces reportages ont inspiré mes voyages. J’ai essayé de visiter les lieux que j’y avais découverts. Hélas, j’ai souvent constaté avec tristesse combien l’intervention humaine avait, au fil du temps, détérioré ces contrées aux paysages naturels autrefois idylliques. Encore inachevé, ce programme me reste en mémoire et se rappelle à moi à chaque fois que je prends l’avion vers l’une des destinations inscrites dans mon album. Ayant à décider, il y a quelques années, entre un séjour de repos (dont j’avais grandement besoin) en Corse et un stage d’astronomie à Bujumbura, le souvenir des vignettes de l’ex-Congo belge me fit choisir sans hésitation le vol qui m’emmènerait vers la capitale du Burundi.

    « Avez-vous vu le ciel ? »
    La famille vouait à la nature une véritable vénération. Dans les arbres, au bord de l’eau, mes frères installaient des « cabanes d’oiseaux » qu’ils avaient soigneusement fabriquées. À chaque printemps, ils les remettaient en état avant l’arrivée des hirondelles pourprées aux vols saccadés, qui tourbillonnent longuement dans le ciel avant de piquer, à la nuit tombante, sur des essaims de moustiques. Nous recevions souvent pour cadeaux de Noël de beaux livres illustrant les merveilles de la nature : Charmants voisins nous présentait les variétés d’oiseaux que nous pouvions identifier dans les champs et les bois des alentours. Avec Les Poissons de nos eaux , nous arrivions à mettre des noms sur les animaux aquatiques que nous pêchions à proximité de la maison dans un long filet aux mailles serrées (seine) traîné sur les « battures » (hauts fonds).
    Derrière la maison, le jardin s’étendait jusqu’au rivage. L’horizon très bas était limité par nos « îles », signalées dans le lointain par de petits groupes de saules émergeant des marécages. Admirer les couchers de soleil, quand le temps s’y prêtait, engendrait de façon rituelle tout un cérémonial familial. Le signal était donné par ma mère : « Avez-vous vu le ciel ? » Mes yeux sont encore pleins de ces images. Je revois les longs filaments rouges des nuages effilés (« tachés d’horreurs mystiques », aurait dit Rimbaud) se dessiner sur un fond de ciel bleu, au-dessus des rivages de Beauharnois, là où le soleil venait de disparaître. La voûte céleste se teintait alors d’un vert qu’on aurait dit luminescent, sur lequel se détachait parfois, pour notre bonheur, le phare acéré de Vénus. Je pense que ces moments intenses où nous nous retrouvions en famille, assis sur le vieux banc de bois adossé au grand peuplier liard, ont joué un rôle majeur dans mon rapport àla nature et au sacré. En nous invitant à assister à ce spectacle et en le commentant d’un « C’est donc beau », avec l’accent sur le « don(c) », comme pour nous persuader du caractère quasi incroyable de tant de beauté, mes parents me communiquaient leur émotion et me faisaient partager leur attitude devant la nature, empreinte tout à la fois d’émerveillement, de respect et d’humilité. Bien sûr, l’idée du Bon Dieu et celle de l’Enfant Jésus y étaient intimement mêlées. Mais les impressions profondes que j’ai retenues de ces instants demeurent inchangées en moi, bien que dissociées de l’imagerie pieuse qui les accompagnait dans mon enfance et qui n’a pas survécu à l’épreuve du temps. Dans la psyché humaine, le domaine du religieux et du sacré englobe et dépasse celui trop restreint d’une confession donnée.
    La nuit, cet endroit devenait une plate-forme ouverte sur le firmament. Après la chute du soleil derrière les îles, le ciel obscurci laissait apparaître les premières étoiles scintillantes. Peu à peu, les constellations se constituaient. La Grande Ourse s’élevait au-dessus des eaux sombres du lac, alors que le vent d’ouest faisait bruisser les grands arbres. Les mots que mon père, habituellement si peu loquace, prononçait en ces occasions cachaient mal l’émotion qu’il s’évertuait pourtant à dissimuler.
    Grâce à une planche cartonnée appelée « Cherche-étoiles », avec force difficultés et doigts glacés, j’ai réussi à reconnaître les étoiles. De ma vie, je ne crois pas avoir fait d’efforts plus rentables. Quand, à leur saison respective, je retrouve sur
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