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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane
Autoren: Juliette Benzoni
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tellement pétrifié qu’il ne trouva rigoureusement rien à répondre sinon :
    — Eh ben !… Eh ben !…
    — Vous mettez à la voile à quelle heure ? demanda Gilles.
    — Eh ben… à dix heures, avec la marée mais…
    — Parfait ! Nous y serons ! Faites préparer ma cabine et une autre… pour une dame. À tout à l’heure.
    Et, toujours courant, Gilles repartit vers Madalen et ce qu’il croyait bien être son bonheur. Le soleil se levait sur le Cap déchaînant déjà sur le port l’agitation colorée et brouillonne qui allait y régner jusqu’à la nuit close.
    Il espérait trouver la jeune femme à peine éveillée, sortant tout juste du lit, s’étirant paresseusement et mirant dans une glace le large cerne bleu de ses beaux yeux. Il la trouva debout au milieu du grand salon, sévèrement coiffée, strictement vêtue d’une robe et d’une cape que lui avait procurées Thisbé. Un petit sac était posé à terre, près d’elle. Elle avait l’air d’une domestique qui attend son congé.
    Il la regarda sans comprendre.
    — Mais… que fais-tu là ? Pourquoi es-tu ainsi habillée ? Qu’est-ce que cela signifie ?
    — Que je m’en vais.
    — Que tu… allons, mon cœur, c’est une plaisanterie ? Nous allons partir tous les deux, bien sûr. Je viens du port où le capitaine Malavoine nous attend…
    — Non. J’ai dit que je m’en allais et c’est exactement ce que je voulais dire : je pars… et je pars seule.
    Il voulut s’approcher d’elle mais elle le repoussa avec une sorte d’horreur qui le frappa.
    — Ne m’approchez pas !
    — Voyons, Madalen ! Explique-moi. Pourquoi me repousses-tu ? Nous étions d’accord, il me semble ? Nous nous aimons et…
    — Non. Nous n’étions pas d’accord. J’étais folle, je crois. Cette femme… cette Olympe m’avait fait boire une potion diabolique qui avait fait de moi une autre… une autre qui me fait horreur !
    — Horreur ? Parce que tu m’as aimé et permis de t’aimer ? Es-tu devenue folle ?
    — Oui, je l’ai été ! Mais grâce à Dieu je ne le suis plus. Avais-je assez lutté contre moi-même pourtant, l’avais-je assez supplié, le Dieu de Justice, de m’arracher du cœur cet amour maudit, cet amour qui me faisait délirer, la nuit, auprès de la chambre où dormait ma pauvre mère ! Cette fille du Diable a fait, pour un temps, resurgir cela des profondeurs de mon être mais je suis dégrisée à présent et je me juge… et je me fais horreur !
    — C’est ridicule ! Quel genre d’amour est donc le tien, Madalen Gauthier ? Qui t’a appris à fuir ainsi les joies du cœur qui magnifient celles du corps ? Tu es éveillée, dis-tu ? Alors regarde autour de toi ! Regarde comme la terre est belle, regarde la nature. Elle n’est qu’amour. Regarde-moi, moi qui t’aime… qui abandonne tout pour toi !
    Avec stupeur, Gilles reçut le double jet glacé d’un regard méprisant.
    — Je ne vous ai rien demandé, dit-elle froidement, sinon de me faire place et de me laisser partir.
    — Mais où vas-tu ?
    — À bord du Gerfaut puisque le capitaine Malavoine veut bien m’emmener. Puis, une fois en Bretagne, j’irai demander à Dieu, en lui consacrant ma vie, de me pardonner l’abominable péché de la chair que vous m’avez fait commettre.
    — Le couvent ? Tu veux entrer au couvent ?
    Elle releva orgueilleusement la tête fixant sur lui un regard étincelant d’un feu fanatique.
    — Si l’on veut bien de moi, oui ! Je me ferai conduire chez les bénédictines de Locmaria… Là, j’expierai tant qu’il me restera un souffle de vie, j’expierai ces moments insensés où, poussée par le Diable, j’ai vécu avec vous l’adultère, où je me suis roulée dans la fange et la luxure et en y prenant un plaisir infâme.
    Foudroyé par cette violence inattendue, Gilles se laissa tomber dans un fauteuil, le cœur battant la chamade, et ferma les yeux. Ce qu’il venait d’entendre faisait resurgir, des jours lointains de son enfance, tout ce qu’il avait souffert auprès d’une mère, persuadée comme Madalen elle-même, que l’amour n’était que honte et péché, une mère qui s’était abandonnée un soir, elle aussi, aux caresses d’un homme qui avait su la séduire et qui, devenue mère, n’avait eu de cesse de faire expier sa faute aussi bien à elle-même qu’à l’enfant qui en était né. Il revoyait la figure pâle de Marie-Jeanne Goëlo, cernée par la
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