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Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père
Autoren: Marina Picasso
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étrange mais quand Claude m’a demandé si
je voulais aller à l’hôpital où son corps reposait, j’ai acquiescé sans l’ombre
d’une hésitation. Après tant d’années d’absence, je voulais le revoir.
    Peut-être pour Pablito et moi, surtout pour Pablito à qui l’on
avait refusé l’entrée de Notre-Dame-de-Vie à la mort de grand-père, je
voulais le revoir.
    Et le faire exister.
     
    Mon père est là sur son lit blanc. Son visage est crispé. Même
dans la mort, j’ai l’impression qu’il souffre. Je m’approche et pose ma main
sur ses deux mains croisées. Peut-être l’ai-je embrassé.
    L’ai-je embrassé ou simplement touché ? Je ne sais plus
mais, dans cette chambre à la lumière pâle, je voulais m’assurer que c’était
lui. Lui qui, vivant, avait été si absent et si faible.
    Une joue… une main froide. C’est tout ce qu’il me laissait.
     
    Le lendemain, Claude m’annonce qu’il m’emmène en week-end
dans sa maison de campagne.
    — L’enterrement n’aura lieu que mardi. Te mettre au
vert deux jours te fera beaucoup de bien.
    Il a statué et tranché. Comment pourrais-je refuser ? Il
a décidé de se comporter en chef de famille.
    J’ai gardé de ce week-end en Normandie un mauvais souvenir. D’abord
parce que je ne connaissais personne et me sentais délaissée, ensuite parce que
Claude, faute de place, m’avait installée toute seule dans un pavillon isolé où
j’ai passé la nuit à frissonner de peur.
    Le dimanche soir, nous rentrons à Paris. Dîner lugubre chez Lipp à Saint-Germain-des-Prés, conversations auxquelles je ne comprends rien, retour
dans l’appartement de Claude.
    — Bonne nuit, Marina. Nous aurions tellement aimé que
Pablito soit avec nous ce soir.
    C’est la première fois que l’on parle de mon frère. Son
suicide dérange. Sa mort est indécente.
     
    Pour les Espagnols, les obsèques sont une fête, une occasion
de revoir des parents, des cousins, des amis que l’on a perdus de vue. Une oportunitad comme l’on dit là-bas. Un dîner est offert et chacun évoque des souvenirs.
    — Rappelle-toi le jour où…
    A  tal señor, tal honor , à tout seigneur, tout
honneur, on parle de Picasso. Non pas de mon père mais du grand Picasso.
    — ¡  Qué talento ! ¡ Qué genio !
    Et l’on boit. Et l’on mange. Et l’on braille.
    Les abrazos, les rires, les bouches pleines, les lèvres et
leurs rictus, les clins d’œil entendus, les inflexions de voix. Rugueuses. Rocailleuses.
    Comida hecha, compañía deshecha , la fête passée, adieu
le saint, demain, ils auront oublié mon père.
    Parmi eux, Vilato, un neveu de grand-père. Il s’approche de
moi et me glisse à l’oreille :
    — C’est bien que tu sois en vie.
    Paloma, Maya, Bernard, Christine et son fils Bernard, Bernard,
mon demi-frère… mais aussi tous les autres qui s’empressent autour de moi.
    — Marina, tu dois être courageuse.
    — Marina, ta vie n’a pas été facile.
    — Marina, ton grand-père, ton frère et maintenant, ton
père. Pauvre petite Marina.
    Pauvre petite Marina. On s’intéresse à moi.
    J’existe dans la mort.
     
    Le lendemain, j’ai rendez-vous chez M e Bacqué de
Sariac, l’un des avocats de grand-père. Il tient à me voir pour me remettre une
enveloppe que m’a laissée mon père. Elle contient cent mille francs et un mot à
l’écriture tremblante :
    « Je te laisse cette somme pour t’aider. Je te serre
dans mes bras. »
    Elle est signée Paulo. Tout simplement Paulo.
    — Votre père voulait vous l’apporter, m’explique M e Bacqué de Sariac, mais il n’a pas osé prendre contact avec vous.
    J’aimerais lui dire que, de toute façon, je n’aurais pas
accepté cet argent de mon père. J’aimerais lui dire…
    À quoi bon ? Je n’ai plus de rancune. Simplement une
enveloppe renfermant cent mille francs.
    Une ultime pension cachant un repentir.
    Claude se démène pour moi. Je suis une provinciale. Il
trouve normal de me piloter dans le dédale de ce Paris du monde des affaires.
    — Cet après-midi, tu rencontres M e Zecri. Il
t’attend. Je lui ai téléphoné.
    Mon père mort, je fais maintenant partie avec mon demi-frère
Bernard de la succession Picasso au même titre que lui, Jacqueline, Maya et sa
sœur Paloma. Pas d’histoires, il veut que tout se passe bien.
    — Tu sais, nous aussi, on a souffert. Nous aussi, on a
connu l’adversité…
    Tous dans le même sac, il tient à niveler nos
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