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Elora

Elora

Titel: Elora
Autoren: Mireille Calmel
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fraction de seconde, l’œil du charretier s’arrêta dans celui du garçonnet, chargé de sa rancœur de condamné.
    Petit Pierre hurla :
    — Mman ! Non !
    Il voulut s’élancer pour empêcher le meurtre, inutile, sauvage. Le sang gicla sous la lame, inondant le visage de Fanette. Petit Pierre eut un haut-le-cœur. Des larmes brouillèrent ses yeux.
    À cet instant-là, il sut qu’il ne serait jamais des leurs.
    À cet instant-là, Fanette, qui basculait le corps vers le fossé, se mit à rire en le fixant.
    — Alors, pesneux, on a l’âme sensible ?
    Incapable d’en supporter davantage, Petit Pierre détala dans la forêt.
    Un coup de poing heurta la mâchoire de Fanette. Elle bascula en arrière, chuta de la charrette et s’écrasa sur le cadavre.
    — C’était trop tôt, gronda Mathieu qui l’avait frappée.
    Il sauta à bas à son tour, s’élança derrière son fils.
    Villon s’attarda sur les traits de Fanette qui se redressait déjà, un rictus satisfait au coin de ses lèvres éclatées. Plus rien en elle ne rappelait la femme qu’il avait aimée. Elle le défia du regard avant de donner le signal de la retraite, indifférente au crachat qu’il venait de lui lancer.
    *
    Il en voulait aux hommes.
    Il en voulait aux femmes.
    Il en voulait à ces enfants qui, comme lui jusque-là, s’étaient imaginé que la mort avait un beau visage.
    Tout n’était que mensonge.
    Dans les récits d’embuscades dont ils se régalaient tous, le soir à la veillée, dans cette peur qui leur tenait le ventre devant le spectre entretenu de la potence.
    Alors qu’il courait à perdre haleine, bondissant au-dessus des buis tel un chevreuil, Petit Pierre sentait la colère le submerger, la rancœur l’envahir contre les siens.
    Ils ne tuaient pas pour se défendre comme ils le prétendaient. Ils tuaient par plaisir.
    Un instant, il sentit le sol se dérober sous ses pieds. Un vertige le faucha. Il s’appuya d’une main au tronc tourmenté d’un genévrier. Puis, sans forces, les jambes flageolantes, il se laissa glisser le long de l’écorce. Il avait mal. Mal de haïr sa mère à ce point. Mal de penser qu’elle était l’être le plus abominable qu’il ait jamais rencontré.
    *
    Mathieu n’avait eu aucune difficulté à suivre la trace de son fils à travers les fourrés saccagés. Pourtant, à l’instant de le rejoindre, il se tassa contre un arbre sans bouger, le souffle court retenu entre ses dents serrées. De ce petit corps recroquevillé sur lui-même, secoué de sanglots, émanait une telle détresse qu’elle lui interdisait d’approcher davantage.
    La nuit descendait sur la forêt des Coulmes. À quelques pas de là, ensevelies sous une végétation luxuriante, les ruines d’un ancien ermitage dardaient vers le ciel quelques pans de mur. Mathieu se laissa glisser à son tour contre les rejets d’un châtaignier.
    Il attendrait.
    Que l’enfant s’apaise. Que le jour revienne. Attentif aux bêtes sauvages qui pourraient les approcher.
    Son regard s’arrêta sur l’arrondi d’un porche recouvert de lierre. La pénombre interdisait qu’on en pénètre le mystère. Mathieu connaissait pourtant chaque recoin de ce lieu abandonné.
    Il détourna la tête.
    Trop de souvenirs.
    Trop de souffrance.
    Trop de colère.
    Jamais il n’oublierait ces êtres qu’il estimait responsables de la mort de son épouse, de la disparition de sa fille.
    Jamais.
    Le désir de vengeance était si violent en lui que chaque gorge tranchée lui donnait le courage d’affronter un jour nouveau, peuplé des mêmes fantômes.
    C’était l’unique raison qui, jusque-là, l’avait empêché de poignarder Fanette. Elle était son seul lien avec le passé.
    Ce jourd’hui pourtant elle avait passé les bornes. Villon lui-même était de son côté. Il ne la laisserait pas continuer.
    Il risqua un œil vers son fils. Ratatiné contre l’arbre, le garçonnet s’était couché, le corps encore soulevé de spasmes, les yeux clos.
    Il faisait plus frais ce soir. Bientôt, trop tôt, la neige gagnerait les sommets, les rochers, les routes. Comme les ours qui peuplaient la contrée, ils se terreraient dans les profondeurs de la terre et attendraient le printemps pour recommencer l’incessant ballet de leurs rapines.
    Mathieu cala sa nuque contre l’écorce.
    Dormir.
    Il retint un soupir. Au petit jour, il s’éveillerait avec la même sensation de vide, usé par les mêmes cauchemars. Et la même
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