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Douze

Titel: Douze
Autoren: Jasper Kent
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avait mis l’Europe tout entière sous sa botte ? ou était-ce le bouclier glacé de défi d’un homme désespéré d’avoir été humilié ?
    Les vestiges fatigués de la Grande Armée croyaient encore à la première hypothèse. Une acclamation – à laquelle je me joignis instinctivement – s’éleva sur son passage, même de la part des hommes qui se trouvaient toujours dans l’eau, travaillant à s’assurer que les ponts puissent tenir en place assez longtemps pour faire traverser et mettre en sécurité non seulement leur empereur, mais aussi chacun de ses sujets. Pendant au moins une heure encore après son passage, il subsista de l’électricité dans l’air, une amplification des conversations et un sentiment général que tous allaient survivre et parvenir à rentrer chez eux. Surveillant la masse de ceux qui attendaient encore pour traverser, toutefois, je pouvais voir que l’enthousiasme n’était pas universellement partagé. Mais autour de moi, les sentiments étaient sincères. Ce ne fut que longtemps après son passage qu’un certain sens de la réalité revint aux hommes avec qui je me trouvais.
    — Je suis surpris qu’ils s’en donnent toujours la peine, maintenant qu’il a traversé, dit l’un deux, ses yeux allant et venant entre les hommes qui continuaient, sans fin, à passer en file indienne.
    — Il va nous sortir de là, dit un autre.
    — Pourquoi en es-tu si sûr ?
    — Parce qu’il y a encore deux cents lieues d’ici à Varsovie. Il a besoin de nous jusque-là.
    — Mais avons-nous besoin de lui ?
    — Tu aurais pu faire construire les ponts ?

    Cette nuit-là, à mon grand étonnement, la horde qui avait fait la queue en une procession ininterrompue sur les ponts se tarit. Il restait des dizaines de milliers d’hommes à faire traverser, mais ils s’assirent autour d’immenses feux de camps, rôtissant la chair des chevaux morts et attendant de reprendre la traversée dans la matinée. Rétrospectivement, vu le nombre d’hommes qui échouèrent à traverser avant que la totalité des forces russes nous tombent dessus, c’était un gâchis ridicule, mais personne n’en donna l’ordre, donc personne ne traversa.
    Le calme et l’obscurité constituaient une occasion parfaite pour Iouda de se glisser sur le pont en évitant la foule, et je tentai de rester éveillé et ainsi de l’en empêcher, mais je n’y parvins pas. Si Iouda s’était approché cette nuit-là, je ne l’aurais pas remarqué. S’il m’avait vu, il aurait pu me tuer facilement. Mais il ne vint pas cette nuit-là.
    Je m’éveillai vers 7 heures. Je pouvais entendre le bruit de l’artillerie, plus proche qu’il ne l’avait été la nuit passée, mais je ne pense pas que ce fut ce qui m’éveilla. Je repris mon observation et vis une silhouette solitaire traversant la rivière par le petit pont. Il était impossible que ce soit Iouda, bien que son chapeau et ses vêtements masquent intégralement son visage ; il était beaucoup trop petit. Il était vêtu d’une peau d’ours – c’était du moins la couche visible –, un trou y ayant été découpé d’où sa tête dépassait. C’était pratique, sinon élégant. Je ne pus que supposer qu’il s’agissait d’un soldat français qui, fait rare, avait eu l’indépendance d’esprit de traverser la rivière lorsque l’occasion s’était présentée. J’étais certain qu’il serait l’un des rares à revenir en France sans encombre.
    Bientôt le soleil se leva et la traversée de la Berezina reprit en masse* . L’indolence de la nuit précédente imposait désormais une urgence accrue. Tous avaient entendu des rumeurs selon lesquelles les forces russes se rapprochaient de notre côté de la rivière, et nous commençâmes à percevoir au nord et à l’est des bruits de bataille, pas bien loin lorsqu’ils commencèrent, et qui se rapprochèrent à mesure que la journée s’écoulait.
    Plus tard, lorsque les premiers boulets de canon russes se mirent à tomber sur la berge elle-même, tout vestige d’ordre ayant subsisté s’évapora. L’affluence autour des accès aux ponts devint plus désordonnée, et ceux qui échouaient à s’insérer sur les ponts commencèrent à être poussés dans l’eau par la foule derrière eux.
    Chargés d’un trop grand nombre de chevaux et de chariots, le pont le plus large finit par s’affaisser en son milieu et, rapidement, dans un déchirement et un craquement de bois en train
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