Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Conspirata

Conspirata

Titel: Conspirata
Autoren: Robert Harris
Vom Netzwerk:
mettait toujours profondément mal à
l’aise. Il répugnait même à voir tuer des animaux pendant les jeux, et cette
faiblesse – puisque malheureusement, en politique, un cœur tendre est
toujours interprété comme un signe de faiblesse – commençait à se
remarquer. Sa première réaction fut de m’y envoyer à sa place.
    — Je vais y aller, bien sûr, répondis-je prudemment.
Mais…
    Je laissai ma phrase en suspens.
    — Mais ? demanda-t-il d’un ton sec. Mais quoi ?
Tu penses que cela ferait mauvais effet ?
    Je n’en dis pas plus et continuai de transcrire son discours.
Le silence se prolongea.
    — Bon, très bien, grogna-t-il enfin en se levant.
Octavius est un rabat-joie, en revanche il est sérieux. Il ne me ferait pas
venir si ce n’était pas important. De toute façon, j’ai besoin de m’éclaircir
les idées.
    C’était la fin décembre, il faisait froid et gris, et il
soufflait un vent à vous couper la respiration. Une bonne dizaine de personnes
attendaient dehors d’être reçues, espérant pouvoir présenter leur requête. Dès
qu’ils virent le consul désigné franchir le seuil de sa porte, les requérants
se précipitèrent vers lui.
    — Pas maintenant, décrétai-je en les repoussant. Pas
aujourd’hui.
    Cicéron passa le bord de son manteau par-dessus son épaule,
rentra le menton dans sa poitrine et descendit la côte d’un pas vif.
    Nous dûmes parcourir près d’un mille, me semble-t-il, en
traversant le forum en diagonale pour sortir de la ville à la porte du fleuve.
Les eaux du Tibre étaient gonflées par des courants impétueux et agitées de
tourbillons d’un brun jaunâtre. Plus loin, de l’autre côté de l’île Tibérine,
parmi les quais et les treuils des Navalia, nous pouvions voir qu’une foule
nombreuse s’était rassemblée. (Vous aurez une idée du temps qui s’est écoulé
depuis cette époque – plus d’un demi-siècle – quand je vous
dirai qu’aucun pont ne reliait encore l’île aux deux rives.) Plus nous nous
rapprochions, plus on reconnaissait Cicéron, et un mouvement de curiosité agita
les curieux qui s’écartaient pour nous laisser passer. Un cordon de
légionnaires de la marine protégeait le site. Octavius attendait.
    — Pardonne-moi de te déranger ainsi, dit Octavius en
serrant la main de mon maître. Je sais combien tu dois être occupé, si près de
prendre officiellement tes fonctions.
    — Mon cher Octavius, c’est toujours un plaisir de te
voir, répliqua Cicéron, quel que soit le moment. Tu connais mon secrétaire,
Tiron ?
    Octavius me jeta un regard dénué de tout intérêt. Même si l’on
ne se souvient de lui aujourd’hui que comme du père d’Auguste, il était à cette
époque édile de la plèbe et un homme d’avenir. Il aurait certainement fini par
devenir consul lui-même s’il n’avait succombé prématurément aux fièvres, quatre
ans environ après cette rencontre. Il nous conduisit à l’abri du vent, dans l’un
des grands hangars militaires où le squelette d’une liburne mise à nu pour
réparation reposait sur de gigantesques rouleaux de bois. Juste à côté, à même
la terre, une forme était recouverte d’une voile. Sans autre cérémonie,
Octavius écarta l’étoffe pour nous montrer le corps d’un jeune garçon.
    Il avait, si je me souviens bien, une douzaine d’années. Son
visage était beau et serein, d’une délicatesse presque féminine, et des traces
de fard doré brillaient encore sur son nez et ses joues tandis que des
fragments de ruban s’accrochaient à ses boucles brunes gorgées d’eau. On lui
avait tranché la gorge. Son corps avait été ouvert de haut en bas, jusqu’à l’aine,
et vidé de ses organes. Il n’y avait pas de sang, juste cette sombre cavité
oblongue évoquant un poisson éventré et remplie de la boue du fleuve. Je ne
sais comment Cicéron parvint à contempler cette vision sans perdre contenance,
mais il déglutit et garda les yeux rivés sur le cadavre. Il finit par dire d’une
voix rauque :
    — C’est atroce.
    — Et ce n’est pas tout, annonça Octavius.
    Il s’accroupit, saisit le crâne de l’enfant entre ses mains
et le tourna vers la gauche. Pendant que la tête bougeait, la blessure béante
qu’il avait au cou s’ouvrit et se referma de façon obscène, comme une seconde
bouche qui aurait tenté de murmurer un avertissement. Octavius paraissait
totalement indifférent, mais c’était évidemment un militaire, et
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher