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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire
Autoren: Alain Marécaux
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enfants, des préadolescents m’ouvrent-ils la porte ? Je refuse d’entrer en l’absence de leurs parents. Et si jamais je me trouve dans quelque foyer défavorisé où des bambins circulent « cul nu » dans la maison, je panique. Dans l’instant, je sens l’angoisse monter : « Et si on m’accusait d’avoir regardé les gosses ? » Là, je fixe mes mains, mes chaussures. Et je quitte la pièce au plus vite.
    Tout ce qui me ramène, de près ou de loin, aux accusations proférées contre moi à Outreau, me rend paranoïaque. L’accusation de viol sur mineurs, c’est atroce. J’en viens aujourd’hui à me bénir de n’avoir pas été trop proche de mes enfants. Déjà qu’il m’était reproché de prendre des bains avec eux, que me serait-il arrivé s’ils nous avaient rejoint dans le lit le dimanche matin, pour une bataille de polochon ? Rien que d’y repenser, l’entends la voix d’un avocat de la partie civile marteler, devant les jurés de la cour d’assises de Saint-Omer : « Mais la machine à bisous d’Alain Marécaux, ce n’était pas anodin ! »
    Ce traumatisme que j’ai subi, de voir l’amour innocent que je porte à mes enfants transformé, dans la bouche d’accusateurs, en perversion sexuelle, me conduit parfois à me détourner du moindre geste envers un enfant que je ne connais pas, même si ce geste est destiné à le protéger.
    Ainsi de cette anecdote : un jour que je fais mes courses dans une grande surface commerciale, je vois les portes coulissantes de l’entrée du magasin se refermer sur une petite fille, dont le gabarit trop menu n’est pas identifié par le détecteur qui déclenche l’ouverture automatique des baies vitrées. Pincée par les portes coulissantes, la petite fille tombe en arrière. Avant Outreau, je me serais précipité pour la relever. Là, j’étais cloué sur place, incapable de bouger.
    *
    Je dois quand même reconnaître qu’il existe quelques très rares conséquences heureuses liées à mon traumatisme. L’une d’entre elles parlera à tous les rescapés de la mort : être enfin capable de savourer la vie. Moi, l’ancien stakhanoviste du boulot, l’ex-zappeur de vacances, le gâcheur de week-ends, je prends désormais le temps de savourer la vie. À tel point que lorsqu’Hervé m’a demandé mes conditions pour devenir son associé, je me suis entendu répondre : des vacances !
    Des vacances. Ce mot-là était vraiment banni de mon existence d’avant Outreau. Des congés, je n’en prenais jamais. En juillet-août, ma femme d’alors partait seule avec les enfants. Je ne les retrouvais qu’une petite semaine, en m’arrangeant pour profiter du pont du 14 juillet, ou de celui du 15 août. Et même ces trois jours-là, je m’arrangeais pour qu’ils ne soient pas tout à fait fériés. Je vivais le téléphone vissé à l’oreille, il fallait que j’appelle l’Étude…
    Aujourd’hui, c’est fini. Je suis un désintoxiqué du travail. Même si ce dernier reste pour moi une priorité, il n’est pas la priorité. Nous sommes trois associés au sein de l’Étude, et je profite de mes semaines de congés. Je prends des vacances, je veux du temps pour ceux que j’aime, ma compagne, nos enfants respectifs, nos petits-enfants, mon papa. Du temps pour moi-même, pour me distraire, m’évader, prendre l’air. Du temps pour soigner mon mal de dos chronique. Avant, face aux douleurs dorsales, je me gavais de médicaments ; aujourd’hui, je vais en cure, je consulte kinés et ostéopathes.
    Du temps. Aucune somme d’argent, aussi alléchante soit-elle, ne parviendrait aujourd’hui à me faire rester à l’Étude vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
    C’est en ce sens que je suis toujours le même huissier, mais aussi, un autre…
    Et puis, il y a ces surprises de la vie, qui, au hasard de mon métier, me font croiser l’un de mes ex-coreligionnaires d’Outreau. Comme ce jour où je suis mandaté par une société pour effectuer un constat dans un squat occupé par des migrants. La rue grouille de policiers chargés de déloger les « sans-papiers », et je suis mandaté pour constater les alentours, car l’immeuble, une fois évacué, sera démoli. Je commence mes constatations, tandis que la police fait barrage aux migrants et aux « no borders » qui souhaitent réintégrer les lieux.
    Et qui vois-je arriver ? Dominique Wiel ! Mais oui, il est là, le prêtre-ouvrier, mon co-accusé d’hier. Il est
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