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Borgia

Titel: Borgia
Autoren: Michel Zévaco
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bout de l’escalier, Ragastens se vit dans une salle immense… Il choisit son champ de bataille, et s’accula à un coin. Alors, ce fut épique.
    Ragastens manœuvrait sa tige de botte comme Samson dut jadis manœuvrer sa mâchoire d’âne pour en assommer les Philistins. Cette tige tourbillonnait, voltigeait au-dessus de sa tête.
    À chaque instant, comme une claque retentissante, elle s’abattait sur une tête, sur une joue, sur un dos… Il y eut des cris de douleur, des grincements de dents, des menaces apocalyptiques proférées à tue-tête par la bande affolée. Cela dura jusqu’au moment où, une dizaine de valets, étant hors de combat, les autres reculèrent en désordre, en appelant au secours…
    Maître du champ de bataille, sans une égratignure, son manteau à peine dérangé, Ragastens partit alors d’un éclat de rire formidable et s’écria :
    – Allons, valets ! Allez prévenir votre maître que le chevalier de Ragastens est à ses ordres…
    – Je suis tout prévenu, fit une voix, vous vous chargez de vous annoncer vous-même, monsieur !…
    Ragastens se retourna et se trouva en présence de César et de Lucrèce. Une seconde, il demeura ébloui, fasciné par la beauté fatale de la fille du pape. Lucrèce vit l’effet qu’elle venait de produire et elle sourit. Mais déjà le chevalier se remettait, s’inclinait et répondait :
    – Monseigneur, et vous, madame, daignez m’excuser d’avoir quelque peu malmené vos valets… Je n’ai d’autre défense à présenter que l’ordre que vous m’aviez donné de me trouver ici à minuit… Or, pour être à un tel rendez-vous, j’eusse passé à travers une légion de démons…
    – Venez monsieur, dit César, c’est moi qui suis coupable de n’avoir pas prévenu ces imbéciles…
    Ragastens suivit le frère et la sœur, tandis que les valets, courbés jusqu’au sol, demeuraient stupéfaits de l’accueil fait à cet intrus si mal vêtu.
    Près des Nubiens, postés à la porte de bronze, Lucrèce s’arrêta un instant. Les deux muets n’avaient pas bronché. Ils avaient une porte à garder : ils la gardaient.
    – Et vous, demanda-t-elle, qu’eussiez-vous fait si on eût essayé de franchir cette porte ?
    Les noirs sourirent largement en montrant une double rangée de dents éblouissantes. Ils touchèrent du bout du doigt le fil de leurs yatagans, puis ils montrèrent le cou du chevalier.
    – C’est clair ! fit celui-ci en riant : ils m’eussent tranché le col. Mais, pour avoir le bonheur de vous contempler, madame, je jure que j’eusse affronté ce péril…
    Lucrèce sourit de nouveau. Puis, ayant tapoté la joue des deux Nubiens, ce qui parut les plonger dans une extase de ravissement, elle passa, suivie de César et du chevalier.
    Elle les conduisit dans une sorte de boudoir dont Ragastens admira le luxe raffiné. Mais le chevalier se garda bien de laisser paraître les sentiments qui l’agitaient.
    – Ma sœur, dit alors César, monsieur est le chevalier de Ragastens, un Français, un enfant de ce pays que j’aime tant… Son titre de Français serait donc une suffisante recommandation à vos bontés, ma chère sœur… mais ce n’est pas tout : lors de mon voyage à Chinon, M. le Chevalier que voici me sauva la vie…
    – Oh ! monseigneur, vous êtes trop bon de parler de cette misère, fit le chevalier ; je ne vous ai rappelé cette aventure que pour me faire reconnaître…
    – J’aime les Français, dit à son tour Lucrèce, et j’aimerai M. le chevalier particulièrement, pour l’amour de vous, mon frère… Nous vous pousserons, chevalier…
    – Ah ! madame, je suis confus de la faveur que vous me faites l’honneur de me témoigner si promptement.
    – Vous la méritez, fit Lucrèce avec enjouement. Mais j’y pense, ajouta-t-elle tout à coup… Vous devez avoir besoin d’un rafraîchissement, après cette grande bataille… Venez, venez, chevalier !
    Elle le saisit par la main et l’entraîna. Le chevalier fut agité d’un frisson. Cette main tiède, langoureuse, parfumée avait serré la sienne.
    L’aventurier ferma les yeux une seconde, la gorge nouée par l’angoisse d’inexprimables voluptés.
    – Tant pis ! songea-t-il. Je risque gros peut-être… Mais la partie en vaut la peine.
    Et sa main, fortement, presque brutalement, rendit la pression amoureuse à la main de Lucrèce. L’instant d’après, ils se trouvaient dans la fabuleuse salle des
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