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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev
Autoren: André Maurois
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essayer de lutter dans ce monde vain? Non, Non ! Assez ! Assez !... Le reste en silence. »
    ***

    On voit ce qu'il faudrait répondre à Tourguéniev (et à travers lui à Schopenhauer qui est ici son inspirateur). Que nous importe? leur dirions-nous. Il est vrai, les choses humaines sont brèves ; nous ne pouvons compter sur la durée de nos œuvres, mais est-ce que le besoin de durée n'est pas artificiel ? Vous dites que les manuscrits de Platon et la Minerve de Phidias seront réduits en poussière après quelques milliers d'années. Que nous importe ? Il faut construire pour le temps présent, pour nous et autour de nous. Il nous est donné une vie ; elle nous suffit. Elle est courte au regard de l'éternité ? Mais l'éternité nous est inconcevable. La vie est longue et riche et remplie au regard de la faiblesse humaine. Le pessimisme est artificiel. Les amoureux et les enfants le savent bien et ce sont eux qui ont raison. Les moucherons dansent dans un rayon de soleil. Font-ils pas mieux que s'ils refusaient de danser pour méditer sur la brièveté de l'été et sur un avenir qu'ils ne pourraient imaginer ? Il y a là un vertige de l'infini auquel Tourguéniev, comme Schopenhauer, comme beaucoup des hommes de son temps, s'est un instant abandonné.
    Mais la meilleure réponse à Tourguéniev, c'est chez Tourguéniev lui-même qu'on la trouverait. Son pessimisme est en surface ou, plus exactement, l'intelligence chez lui est pessimiste, le cœur est, non pas optimiste (il faudrait être fou pour nier la douleur), mais simple et juste. Il avait raison quand il disait n'être pas fait pour les idées abstraites et ne se trouver à l'aise que devant un nez rouge, des cheveux blancs. Dès qu'il peint le monde réel il en goûte la beauté, la variété. Lavretsky rentre chez lui, très malheureux : « Me voici au fond dufleuve, » pense-t-il. Pourtant il est sensible à la paix profonde et au silence de la campagne : « Me voici au fond du fleuve, répéta une fois de plus Lavretsky. Et toujours, en tout temps, la vie est ici calme et douce; quiconque entre dans ce cercle n'a qu'à se soumettre; ici rien ne peut émouvoir, rien ne peut troubler; il faut se frayer une voie lentement, comme le laboureur, de sa charrue, fraye un sillon. Et que d'énergie, que de santé, dans ce repos paisible. Là, sous la fenêtre, le lourd chardon montre sa tête dans l'herbe; au-dessus, la grande ombrelle dresse sa tige ferme ; plus haut encore les fils de la Vierge suspendent leurs bouquets rosés. Au loin, dans les champs, le seigle et l'avoine luisent et commencent à monter en épis. Tout pousse, tout se développe, chaque brin d'herbe sur sa tige, chaque feuille sur sa branche... Mes plus belles années, je les ai données à l'amour d'une femme. Puisse l'ennui ici me dégriser, m'apaiser et m'apprendre à agir dorénavant sans hâte. »
    Résignation? Oui, mais résignation qui n'est pas sans douceur. Et puis Lavretsky est un homme qui n'est déjà plus jeune et qui a été vaincu par la vie. Mais Tourguéniev, comme Shakespeare, comme le Prospero de la Tempête, garde un émerveillement tendre pour les illusions de la jeunesse. Il se plaît à la fin de ses romans à nous montrer, dans un épilogue, comment, après l'échec d'une génération, une nouvelle grandit et retrouve le même bonheur à espérer et à aimer. Une illusion qui est éternelle, ou du moins qui renaît aussi souvent que l'âme humaine, est bien près d'être une réalité.
    Un jour de désespoir, sous sa fenêtre, Tourguéniev entendit un merle chanter : « Il sifflait et trillait sans arrêt, d'une voix forte, sûr de lui-même. Ses appelspénétraient en roulades dans ma chambre silencieuse, l'envahissaient tout entière et m'emplissaient les oreilles et la tête, ma tête alourdie et desséchée par l'insomnie, troublée par mes pensées malsaines.
    Ils étaient chargés d'éternité, ces sons, de toute la pureté de l'éternité et de toute son impassibilité, de toute sa force irrésistible. J'y percevais la voix même de la nature : voix admirable, inconsciente, qui toujours a chanté et qui chantera toujours.
    Il chantait, il chantait éperdument, plein d'assurance, ce merle. Il savait que bientôt le soleil, à son heure, le soleil fidèle lancerait ses rayons. Et son chant n'avait rien qui fût de lui, ni rien qui fût à lui. Le même merle, il y a mille ans, a salué le même soleil. Et c'est encore lui qui, dans mille ans, le saluera,
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