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Tourgueniev

Tourgueniev

Titel: Tourgueniev
Autoren: André Maurois
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la campagne, leurs travaux, voilà ce qu'il y avait au fond du mépris apparent de Tourguéniev pour les idées.
    A la dame qui lui demandait un résumé de sa philosophie, il répondit ceci : « Je dirai brièvement que je suis, avant tout, un réaliste qu'intéresse seule la vérité vivante du visage humain. Je suis indifférent à tout ce qui est surnaturel : je ne crois pas aux absolus et aux systèmes. J'aime la liberté plus que tout au monde et, autant que j'en suis juge, je suis sensible à la grandeur. Tout ce qui est humain m'est cher, la slavophilie, comme d'ailleurs toute autre orthodoxie, m'est étrangère 1 . »
    C'était une honnête réponse et qui résumait assez bien sa position. Elle est un des rares textes positifs que nous possédions de lui. Les autres sont quelques fragments de ses romans, une courte méditation qui a pour titre : Assez, une conférence sur Hamlet et Don Quichotte, et quelques symboles dans les poèmes en prose.
    Voici, me semble-t-il, quelle est « l'image du monde selon Tourguéniev », qui se dégage de son œuvre.
    Certainement Tourguéniev est un pessimiste, ou du moins il l'est en ce qui concerne l'univers des forces et des choses. A ses yeux c'est une folie que de croire la nature bonne. La nature n'est ni bonne ni mauvaise. Elle est indifférente. « Elle crée des êtres sans se préoccuper de ce que sera leur sort. Elle en crée qui combattront les premiers. Elle donne aux uns et aux autres des armes de combat. Elle les perfectionne avec indifférence des deux côtés. Elle est comme un arbitre suprême qui regarderait une guerre éternelle en fournissant des munitions aux deux armées. » Dans les poèmesen prose il raconte un rêve dont la Nature personnifiée est le personnage central :
    « J'entrai dans une immense salle souterraine à hautes voûtes. Toute la salle était remplie par une lueur égale, qui semblait venir de dessous terre.
    « Au beau milieu était assise une femme à l'aspect grandiose, vêtue d'une ample robe de couleur verte. La tête appuyée sur sa main, elle semblait plongée dans une profonde rêverie.
    « Je compris aussitôt que cette femme était la Nature, et, comme un froid subit, une crainte révérencieuse entra dans mon âme.
    « Je m'approchai de la femme assise et, l'ayant respectueusement saluée :
    « — O notre mère commune ! m'écriai-je, à quoi penses-tu ? Est-ce aux destinées futures de l'humanité ? Est-ce aux conditions nécessaires pour qu'elle atteigne toute la perfection et tout le bonheur possibles ?
    « La femme tourna lentement sur moi ses yeux sombres, perçants et terribles ; ses lèvres s'entr'ouvrirent, et j'entendis une voix retentissante, comme le choc du fer contre le fer.
    « — Je pense au moyen de donner une plus grande force aux muscles des pattes de la puce, pour qu'il lui soit plus aisé d'éviter les poursuites de ses ennemis. L'équilibre entre l'attaque et la défense est rompu; il faut le rétablir.
    « — Comment ! balbutiai-je, voilà à quoi tu penses ? Mais nous, les hommes, ne sommes-nous pas tes enfants préférés ?
    « Elle fronça à peine son sourcil.
    « — Tous les animaux sont mes enfants, dit-elle. Je prends un égal souci de tous, et tous je les extermine également.
    « — Mais... le bien... la raison... la justice, murmurai-je de nouveau.
    « — Ce sont des paroles humaines, reprit la voix de fer. Je ne connais ni le bien ni le mal. Votre raison n'est pas ma loi, et qu'est-ce que la justice? Je t'ai donné la vie, je te l'ôterai et je la donnerai à d'autres, à des vers de terre ou à des hommes, indifféremment. Quant à toi, en attendant, défends-toi, et ne viens plus m'importuner.
    « Je voulais répliquer ; mais la terre, tout autour de moi, mugit sourdement et tressaillit...
    « Et je me réveillai. »
    On se souvient que dans son enfance il avait été le témoin de la lutte d'une couleuvre et d'un crapaud et qu'il avait pris là sa première idée de l'horreur des luttes naturelles. Le spectacle de la vie humaine n'avait pas changé ses idées d'enfant. L'univers lui apparaissait comme gouverné par des forces immenses, mais inintelligentes, et tout à fait indifférentes à ce que nous considérons, nous, les hommes, comme le bien, le mal, la justice, le bonheur.
    Naturellement un esprit qui a formé une telle conception du monde ne peut être un esprit religieux. Aux yeux de Tourguéniev, les hommes, dans le plan de l'univers, ne sont pas plus importants que les
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