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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France
Autoren: Maurice Druon
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de
vindicte sur le passé de sa famille, pleins d’ambition sur son propre avenir.
« Si ma grand-mère n’avait pas été si chaude putain, si ma mère était née
homme… Je serais roi de France à présent. » Je l’ai entendu dire cela, de
mes oreilles… Il convenait donc de ménager la Navarre qui, par sa situation au
midi du royaume, prenait d’autant plus d’importance que les Anglais, à présent,
tenaient toute l’Aquitaine. Alors, comme toujours en pareil cas, arrangeons un
mariage.
    Le duc Jean se fût bien dispensé de
contracter une nouvelle union. Mais il était promis à être roi, et l’image
royale voulait qu’il eût une épouse à son côté, surtout dans son cas. Une
épouse empêcherait qu’il parût marcher trop ouvertement au bras de Monsieur
d’Espagne. D’autre part, comment mieux flatter le remuant Charles
d’Évreux-Navarre, et comment mieux lui lier les mains, qu’en choisissant la
future reine de France parmi ses sœurs ? La plus âgée, Blanche, avait
seize ans. Une beauté, et beaucoup de grâces d’esprit. Le projet fut fort
avancé, les dispenses demandées au pape et le mariage quasiment annoncé, encore
qu’on se demandât qui serait vivant la semaine suivante, dans l’horrible
période qu’on traversait.
    Car la mort continuait de frapper à
toutes les portes. Au début de décembre, la peste enleva la reine de France
elle-même, Madame Jeanne de Bourgogne, la boiteuse, la mauvaise reine. Pour
celle-là, ce fut tout juste si la bienséance permit de contenir les cris de
joie, et si le peuple ne se mit pas à danser dans les rues. Elle était
haïe ; votre père a dû vous le dire. Elle volait le sceau de son mari pour
faire jeter gens en prison ; elle apprêtait des bains empoisonnés pour les
hôtes qui lui déplaisaient. Il s’en fallut de peu qu’elle ne fit de la sorte
périr un évêque… Le roi, parfois, la rouait à coups de torche ; mais il ne
parvint pas à l’amender. Je me méfiais fort de cette reine-là. Sa nature
soupçonneuse peuplait la cour d’ennemis imaginaires. Elle était coléreuse, menteuse,
odieuse ; elle était criminelle. Sa mort parut un effet tardif de la
justice céleste. D’ailleurs, aussitôt après, le fléau commença de régresser,
comme si cette grande hécatombe, venue de si loin, n’avait eu d’autre but que
d’atteindre, enfin, cette harpie.
    De tous les hommes de France, celui
qui en éprouva le plus grand soulagement, ce fut le roi lui-même. Un mois moins
un jour après, dans la froidure de janvier, il se remaria. Même veuf d’une
femme unanimement détestée, c’était faire bien peu de cas des délais de
convenance. Mais le pire n’était point dans la hâte. Avec qui
convolait-il ? Avec la fiancée de son fils, avec Blanche de Navarre, la
jeunette, dont il était tombé fou en la voyant paraître à la cour. Si
complaisants qu’ils soient pour la gaillardise, les Français n’aiment guère,
chez le souverain, les égarements de cette sorte.
    Philippe VI avait quarante ans
de plus que la beauté qu’il soufflait, fort brutalement, à son héritier. Et il
ne pouvait point invoquer, comme pour tant d’unions princières désassorties,
l’intérêt supérieur des empires. Il enchâssait une pierre de scandale dans sa
couronne, cependant qu’il infligeait à son successeur la meurtrissure du
ridicule. Mariage célébré à la sauvette, du côté de Saint-Germain-en-Laye. Jean
de Normandie, naturellement, n’y assistait pas. Il n’avait jamais eu grande
affection pour son père, qui d’ailleurs lui en rendait peu. Maintenant, il lui
vouait de la haine.
    Et l’héritier, un mois plus tard, se
remariait à son tour. Il avait hâte d’effacer l’outrage. Il fit l’enchanté de
s’accommoder de Madame de Boulogne, veuve du duc de Bourgogne. Ce fut mon
vénérable frère, le cardinal Guy de Boulogne, qui arrangea cette union pour
l’avantage de sa famille, et le sien propre. Madame de Boulogne était, du point
de vue de la fortune, un fort bon parti, ce qui aurait dû assainir les affaires
du prince, déjà dépensier comme personne, mais ne servit en fait qu’à
l’encourager au gaspillage.
    La nouvelle duchesse de Normandie
était plus âgée que sa belle-mère ; elles produisaient ensemble un étrange
effet aux réceptions de cour, d’autant que, pour la tournure et le visage, la
comparaison n’était guère à l’avantage de la bru. Le duc Jean en éprouvait
dépit ; il s’était
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