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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi
Autoren: Philippe Hugon
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domaine, hypothéquant son avenir et celui de mes sœurs, lesquelles se joignirent fielleusement à toutes ses prétendues accusations. À son tribunal personnel, il jugea mon père et ma mère coupables de manquer à leurs devoirs de parents. Ma mère fondit en larmes et mon père se retira pitoyablement dans son bureau pour fuir la sentence.
    Le lendemain, comme il se devait, Guillaume arriva en retard à l'office nuptial. Il arborait une tenue plus propre à courir les chemins qu'à figurer à une noce. Le ton était donné. Tout au long de la cérémonie, il afficha une mine de Huron exilé de son Canada natal. D'ailleurs, lorsqu'il s'agit de parapher le registre paroissial, il gribouilla une signature digne d'un sauvage du Nouveau Monde. Je décidai d'ignorer sa mauvaise humeur et me consacrai à nos invités. Ayant fort à faire pour dire un mot à chacun, je l'oubliai, tout en surveillant du coin de l'œil Bischi et Chon, qui s'empiffraient à qui mieux mieux devant le buffet. Mais alors que la journée prenait un tour des plus plaisants, Guillaume réapparut. Le pas visiblement mal assuré, il vint s'asseoir près de la table où était installé le chevalier de Vernongrèze, le frère aîné de mon épouse. Après l'avoir considéré un long moment tout en vidant d'un trait plusieurs verres de vin, il l'interpella suffisamment fort pour que sa voix me parvienne malgré le brouhaha.
    — Chevalier, cette journée vous agrée-t-elle ? questionna-t-il d'un ton d'homme gris.
    M. de Vernongrèze était, comme sa sœur, d'un caractère fort neutre et n'aimait rien tant que de passer inaperçu – ce en quoi il réussissait d'ordinaire excellemment. Plutôt gêné de cette sèche apostrophe, il répliqua par un petit sourire, assorti d'un faible mouvement de lèvres qui émit sûrement une approbation polie. Cela ne suffit pas à mon frère qui décida de torturer sa proie : il lui demanda de répéter. Le chevalier força un peu plus sa voix et réussit à exprimer un palpable « oui merci, cher vicomte », qu'il ponctua d'un hochement de tête avant de se tourner vers sa voisine. Mon frère avait cette fois entendu, semblait-il, mais il n'en resta pas là :
    — Savez-vous, monsieur, que c'est avec mon bien que nous vous régalons aujourd'hui ?
    Le chevalier se retourna, interloqué, cherchant du regard alentour pour solliciter un soutien dans ce qu'il pressentit comme les prémices d'une affaire déplaisante. Malheureusement, je n'eus pas le temps d'intervenir avant que mon frère ne poursuive son scandale. Se levant promptement, il se dirigea vers le chevalier, un verre à la main, demandant à nouveau s'il avait été bien compris. Son ton était maintenant positivement brutal. M. de Vernongrèze était effacé mais certainement pas couard : il devint très pâle et rétorqua vivement qu'il entendait suffisamment pour distinguer l'accent du vin. L'écume aux lèvres, mon frère reprit :
    — Ma foi, puisque mon vin vous plaît, souffrez que je vous en offre un peu plus.
    Et d'un geste sans équivoque, Guillaume projeta le contenu de son verre sur la veste du chevalier. Les conversations de nos invités se turent alors. M. de Vernongrèze, de blanc, devint pourpre. Il se jeta littéralement sur mon frère et le poussa furieusement des deux mains vers la table voisine où la vieille vicomtesse de Gragnac l'accueillit sur ses genoux à son corps défendant. Encouragé par cette ferme réaction, le chevalier voulut saisir mon frère au col, mais je m'interposai. Guillaume en profita pour se remettre autant d'aplomb que son état le permettait, mais, pris d'un haut-le-cœur, il eut juste le temps de se retourner pour vomir un infâme brouet rougeâtre sur les jupes de Mme de Gragnac. Jugez de l'impression de la scène. Les spasmes se succédèrent encore plusieurs fois, si bien que deux valets loués pour mon mariage furent chargés de le transporter à l'extérieur. Bischi et Chon leur emboîtèrent le pas, braillant à la cantonade qu'il s'agissait sûrement d'un empoisonnement causé par un alcool frelaté, voire par des mets infectés. Où les deux chipies avaient-elles pêché une telle fable ? La réaction ne se fit toutefois pas attendre et nos invités délaissèrent dans l'instant leurs verres et leurs assiettes. Inutile de vous préciser que la fête en fut définitivement gâchée. Mon frère ne revint pas et garda le lit trois jours durant, veillé par mes deux sœurs qui s'isolèrent avec lui. De son
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