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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Titel: Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants
Autoren: Mathias Enard
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un morceau de chair qui n'appartient à personne sinon à Dieu. Prends un peu de ma beauté, du parfum de ma peau. On te l'offre. Ce ne sera ni une trahison, ni un serment ; ni une défaite, ni une victoire.  
    Juste deux mains s'emprisonnant, comme des lèvres se pressent sans s'unir jamais.  

 
     
     
     
     
      Manuel le traducteur rend chaque matin visite Michel-Ange pour lui demander s'il n'a besoin de rien, s'il peut l'accompagner quelque part ; le plu souvent il trouve le sculpteur occupé à dessiner, ou bien à dresser une de ses innombrables listes dan son carnet. Parfois, il a la chance de pouvoir observer le Florentin alors qu'il trace, à l'encre ou au plomb une étude d'anatomie, le détail d'un ornement d'architecture.
    Manuel est fasciné.
    Amusé par son intérêt, Michel-Ange crâne. Il lu demande de poser la main sur la table et, en deux minutes, il esquisse le poignet, toute la complexité des doigts recourbés et la pulpe des phalanges.
    — C'est un miracle, maître, souffle Manuel. Michelangelo part d'un grand éclat de rire.
    — Un miracle ? Non mon ami. C'est pur génie je n'ai pas besoin de Dieu pour cela.
    Manuel reste interloqué.
    — Je me moque de toi, Manuel. C'est du travail avant tout. Le talent n'est rien sans travail. Essaie si tu veux.
    Manuel secoue la tête, paniqué.
    — Mais je ne sais pas, maestro, j'ignore tout du dessin.  
    — Je vais te dire comment apprendre. Il n'y a pas d'autre façon. Appuie ton bras gauche sur la table devant toi, la main à demi ouverte, le pouce détendu, et avec la droite dessine ce que tu vois, une fois, deux fois, trois fois, mille fois. Tu n'as pas besoin de modèle ni de maître. Il y a tout dans une main. Des os, des mouvements, des matières, des proportions et même des drapés. Fais confiance à ton œil. Recommence jusqu'à ce que tu saches. Puis tu feras la même chose avec ton pied, en le posant sur un tabouret ; puis avec ton visage, grâce à un miroir. Ensuite seulement tu pourras passer à un modèle, pour les postures.  
     — Vous croyez qu'il est possible d'y arriver, maestro ? Ici personne ne dessine comme ça. Les icônes...  
    Michel-Ange l'interrompt durement.  
    — Les icônes sont des images d'enfants, Manuel. Peintes par des enfants pour des enfants. Je t'assure, suis mes conseils et tu verras que tu dessineras. Après tu pourras t'amuser à copier des icônes autant que tu voudras.
    — Je vais essayer, maestro. Souhaitez-vous que nous allions nous promener ou visiter un monument  ?  
    — Non Manuel, pas pour le moment. Je suis bien ici, la lumière est parfaite, il n'y a pas d'ombres sur ma page, je travaille, je n'ai besoin de rien d'autre, je te remercie.
    — Bien. Demain nous irons voir votre atelier. A bientôt donc.
    Et le drogman grec se retire, en se demandant s'il va oser poser la main sur la table et se mettre à dessiner lui aussi.  

 
     
     
     
     
    L'atelier se trouve dans les dépendances de l'ancien palais des sultans, à deux pas d'une mosquée grandiose dont le chantier vient d'être achevé. Le secrétaire poète Mesihi, le page Falachi et Manuel ont accompagné Michel-Ange prendre possession des lieux, un peu inquiets des réactions de l'artiste.  
    Une salle haute, voûtée, meublée d'une foule de dessinateurs et d'ingénieurs, en rangs devant de grandes tables encombrées de dessins et de plans.
    Des maquettes sur des présentoirs, plusieurs maquettes différentes d'un ouvrage étrange, un pont singulier, deux paraboles qui fabriquent un tablier à leur asymptote, soutenues par une arche unique, un peu comme un chat qui ferait le dos rond.
    Voici votre royaume et vos sujets, maestro, dit Falachi. Mesihi ajoute une formule de bienvenue que Michel-Ange n'entend pas. Son regard est fixé sur les maquettes.  
    — Il s'agit de modèles réalisés à partir du dessin proposé par Léonard de Vinci, maestro. Les ingénieurs l'ont jugé inventif, mais impossible à construire et, comment dire, le sultan l'a trouvé plutôt... plutôt laid, malgré sa légèreté.  
    Si le grand Vinci n'a rien compris à la sculpture, eh bien il ne comprend rien non plus à l'architecture.
    Michel-Ange le génie s'approche du projet de son si célèbre aîné ; il l'observe une minute, puis, d'une gigantesque gifle, le précipite à bas du socle ; l'édifice de bois collé retombe sur ses quatre pattes sans se briser.
    Le sculpteur pose alors sa galoche droite sur le modèle réduit, et l'écrase
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