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Métronome

Métronome

Titel: Métronome
Autoren: Lorànt Deutsch
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D’ITALIE
Tous les chemins mènent à Rome…
    La place d’Italie m’a toujours semblé biscornue, pour tout dire mal fichue. On sort du métro, et rien ne paraît équilibré ni harmonieux. La mairie XIX e siècle du XIII e arrondissement fait mine de se tenir à l’écart, comme effrayée par la noria de bagnoles qui tournent sur le rond-point en un ballet incongru et déréglé. En face, sur les toits du centre commercial laborieusement hyper-moderne, les assemblages futuristes miment involontairement les grues figées d’un chantier abandonné. De l’autre côté de l’avenue, les fast-foods régurgitent leurs odeurs de frites rances au pied d’un assemblage de cubes grisâtres. Plus loin, les tours sans âme étirent leurs formes tristes.
    La seule chose que je trouve dans le ton, c’est la plaque émaillée bleue encadrée de vert et qui annonce : « Place d’Italie ». L’Italie, en effet, c’est par ici ! Au II e siècle, quand la Lutèce voulue par l’occupant romain s’établissait sur l’île de la Cité, l’endroit était traversé par une route qui menait à Rome… En Gaule, l’époque était à la paix romaine. La nouvelle ville des Parisii se développait au sud de la Seine. De puissantes voies de communication se créaient en direction de Rome pour relier entre elles les parties éparses du plus vaste des empires. La place d’Italie se trouvait tout naturellement sur cette via romana qui menait à Lyon et à Rome.
    Au fond, on devrait peut-être rebaptiser cet espace pour l’appeler « place de Rome », et se souvenir ainsi de la dette que le Paris que nous connaissons et que nous aimons a contractée envers ceux qui sont venus conquérir la Gaule il y a deux millénaires.
    Certes, ils ont beaucoup détruit du Paris des origines. On ne mesure jamais assez le cataclysme que représenta l’incendie de Lutèce et la défaite d’Alésia. Ce fut la mort d’une culture, la disparition d’une langue. Tout un mode de vie avec ses légendes, son histoire, ses divinités, ses adorations, sa mystique, sombra dans la nuit de l’oubli. Un livre inachevé se ferma… Les quelques traces que l’on en conserve nous ont néanmoins été transmises par les Romains. Plutôt sympas, ils ont bien voulu, à travers leurs écrits, nous laisser le souvenir de ces Barbares soumis à leur puissance. Mais cette puissance même détruisit l’identité gauloise. Elle la détruisit si bien que, pendant longtemps, les historiens regardèrent cette nation ancienne avec un certain mépris ou, au moins, une dédaigneuse condescendance. On y voyait quoi, dans les ouvrages d’Histoire ? Des peuplades un peu sauvages, portant de longues moustaches, s’habillant de braies colorées et bouffant du sanglier. Encore heureux que Jules César soit venu apporter la civilisation à ces brutes, pensait-on. Sauf que, de nos jours, les historiens ont révisé leur jugement. C’est vrai, les Gaulois ne nous ont pas transmis de chefs-d’œuvre littéraires, ils n’ont pas non plus construit de grands monuments qui feraient le bonheur des touristes du troisième millénaire, mais ils n’étaient pas des ploucs pour autant ! Ils appartenaient à une civilisation développée qui avait ses rites, ses divinités, ses légendes, ses héros.
    Maintenant, on peut se demander également ce que seraient devenus les Parisii – et leur ville – si les Romains n’étaient pas venus leur faire la guerre. Le peuple de la Seine aurait-il gardé son indépendance et son originalité ? Sans doute pas. La Germanie était en marche. Au nord, une autre conquête avait en effet commencé. Et sans Jules César, nous serions tous des Germains ! Telle était l’alternative pour les Parisii : se latiniser ou se germaniser. L’Histoire et la force militaire de César ont tranché. Les Gaulois ont laissé place aux Gallo-Romains.

La ville qui se bâtit alors n’était donc plus une agglomération purement parisii, mais une cité façonnée par le génie romain. Voilà pourquoi, sans doute, cette place d’Italie prend dans mon imaginaire une importance qu’un esprit rationnel pourrait juger disproportionnée…
    C’est vrai, ici nous sommes bien loin des bords de la Seine où se réfugiaient les premières habitations lutéciennes, mais je mets avec émotion mes pas dans les pas des légions romaines, des commerçants romains, des bâtisseurs romains. Ici retentissait l’écho lointain de la ville. Ici, sur de grandes
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