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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
Autoren: Henri Sanson
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éprouver, lorsque le vendredi soir il entendait Gomart parler de Jeanne, lui qui souvent l’avait vue dans la journée et avait attisé, dans une contemplation de quelques heures, la flamme de l’amour qui le dévorait. Il aspirait les paroles du vieillard, brûlait à chaque instant de trahir son secret ; mais une considération le retenait. Pour mademoiselle Lançon, car la fille putative de Rançon de Vaubernier, avait cru devoir, pour mieux se cacher de sa famille, changer la première lettre de son nom, l’exécuteur de Paris s’était bien gardé de dépouiller son prudent incognito. Il était donc toujours le chevalier de Longval, un jeune gentilhomme d’assez bonne mine, et qui pouvait, sans danger d’être découvert, se prétendre l’ami de l’abbé Gomart, car il savait que l’oncle et la nièce, ou plutôt le père et la fille, ne se voyaient point. Soulever un coin du voile de ce mystère, c’était s’exposer à le déchirer tout à fait, et c’est ce que Charles-Henry Sanson ne voulait point risquer, car il était entièrement sous la fascination de sa liaison avec cette délicieuse fille.
    Jeanne n’était pas seulement idéalement belle ; elle avait un je ne sais quoi de naturel et d’enjoué qui captivait au dernier degré. C’était le germe des grâces félines qui devaient en faire plus tard la Roxelane du Soliman français.  
    Je n’ai point la prétention de refaire ici la biographie de cette femme célèbre ; ce sera assez pour moi d’avoir plus loin à en écrire le dernier chapitre. Je ne la suivrai donc ni dans les petites maisons de la Gourdan, ni dans ses intrigues avec Nicolas Mathon, avec le commis de Marine Duval, avec le beau coiffeur Lanet, qui fut peut-être celui qui l’aima le plus sincèrement, ni chez la veuve du fermier-général Lagarde dont elle séduisit les deux fils, ni chez madame Duquesnoy où, pour échapper aux recherches de ceux qui voulaient la sauver, elle se cacha encore sous le nom de Lange, jusqu’à ce qu’elle y rencontrât le comte Jean du Barry. misérable qui, après l’avoir traînée dans la fange de la débauche, osa la jeter toute souillée dans les bras d’un amant couronné.
    Il y avait déjà longtemps, lorsque ceci arriva, que Charles-Henry Sanson avait perdu Jeanne Vaubernier de vue. Ce roman de ses premières amours était resté sans dénouement, et ce ne sont pas les moindres trésors de notre cœur que le souvenir de ces illusions de la jeunesse dont les réalités de la vie n’ont pas eu le temps de détruire le prestige. Amours inachevées ! bonheurs entrevus et restés dans le vague domaine des rêves, combien vous l’emportez sur les biens fugitifs qu’il nous a été donné de voir de près et de posséder.
    Depuis longtemps aussi, l’abbé Gomart était devenu muet sur sa fille. Il avait fini par se résigner à l’idée de la savoir perdue pour lui. C’est en vain qu’à l’aide de noms d’emprunt elle avait cherché à lui dissimuler sa vie de désordre ; il avait su tout ou presque tout ; quand elle parvint enfin à cette situation équivoque où la honte trouve des adulateurs et le déshonneur des courtisans, qu’elle prit place parmi les reines de la main gauche, elle se souvint de son père et espéra vaguement que, comme tant de consciences abjectes qui l’entouraient, il transigerait avec la fortune.
    De grands personnages furent chargés de voir l’abbé Gomart et de le sonder ; on lui offrit des richesses, des dignités ecclésiastiques ; on fit miroiter devant ses yeux la crosse et la mitre, peut-être le chapeau de cardinal. Le vieux récollet demeura inexorable ; il ne voulut rien accepter, pas même des charités pour ses bonnes œuvres, de cette source impure ; il resta jusqu’à la fin de sa vie dans sa pieuse retraite, ne la quittant que pour remplir les devoirs de son saint ministère et venir s’asseoir une fois par semaine à la table de celui qu’on appelait le bourreau.

III - AVÈNEMENT DE CHARLES-HENRY SANSON
     
     
    C’est au mois de janvier 1754 que Charles-Jean-Baptiste Sanson fut atteint de la maladie qui ne devait plus lui permettre de remplir ses pénibles fonctions. Son fils aîné, Charles-Henry, déjà âgé de quinze ans, grand et robuste pour cet âge, se trouvait par cela même en état de le remplacer avec le concours de vieux aides tout dévoués à la maison. Mais c’était, en quelque sorte, pour la seconde fois que l’échafaud tombait en
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