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L'Ombre du Prince

L'Ombre du Prince

Titel: L'Ombre du Prince
Autoren: Jocelyne Godard
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un crissement étrange, mais n’y
prit pas garde, car dans une seconde à peine, son char devait s’arrêter sur la
place, dans un dernier claquement de fouet, pour entamer le tour de prestige
obligatoire sous les ovations de la foule.
    Mais le crissement léger devint bientôt un craquement
qui l’obligea à une seconde de concentration. Il raffermit la tenue de ses
rênes par une pression instinctive. Fallait-il freiner l’allure des chevaux ?
Une question bien superflue, car voilà qu’à présent, ils s’emballaient sans
motif apparent.
    Hatchepsout et sa fille se regardèrent,
inquiètes. Youry ouvrit la bouche, incrédule, pétrifié. À présent, les yeux
exorbités, les naseaux écumants, les trois chevaux se cabraient.
    La reine et Mérytrê heurtèrent violemment le
fond du char, sans pouvoir se rééquilibrer. Puis, dans un claquement sec et
furieux, les chevaux reposèrent leurs sabots sur le sol et ce fut la course
effrénée que Youry ne put maîtriser.
    L’attelage emballé piqua droit sur le bas-côté
du chemin, heurtant la foule épouvantée qui, trop dense pour reculer, se mit à
hurler de frayeur.
    Le premier rang fut touché et plusieurs personnes
furent projetées violemment sur les rangs arrière, entraînant une panique
extrême. Des femmes s’évanouirent et les enfants qui se trouvaient là se
faufilèrent tant bien que mal entre les jambes adultes qui leur offraient un
abri incertain.
    Déséquilibré, Youry tenta de garder la
maîtrise de la situation, mais la jeune Mérytrê se mit à crier et lui fit
perdre son sang-froid. Il essaya pourtant d’attraper les rênes que la poussée
des chevaux sur la foule lui avait fait brutalement lâcher.
    « Ces chevaux ont été drogués, jura-t-il
entre ses dents. Ils sont fous furieux et nous entraînent au drame. »
    Il retomba deux fois avant de saisir les
rênes, mais le bond violent que fit soudain l’attelage les lui fit lâcher
aussitôt. Il sentit son dos douloureux et sa tête s’embua d’une brume opaque.
    Quand les trois chevaux emballés reprirent le
centre de la voie, le char était couché sur le sol et le côté extérieur, dont
le bois se recouvrait d’une plaque d’argent, crissait sur le pavé de pierre,
emportant à chaque instant un morceau de l’attelage.
    La première roue se détacha et roula sur la
voie. Thoutmosis, dont le char suivait, l’esquiva de justesse par une habile
manœuvre que seule sa maîtrise dans l’art de la conduite des chars pouvait
expliquer.
    Néhésy, le Chef des Polices de Thèbes, dont l’attelage
n’était pas loin, tenta de se rapprocher des chevaux emballés mais ceux-ci
commençaient un parcours infernal et mortel, virant à droite, à gauche,
hennissant de frayeur, rebondissant et s’emballant de nouveau en emportant le
reste de ce qu’ils entraînaient avec eux.
    Mérytrê ne criait plus, la peur avait eu
raison d’elle et elle gisait inanimée.
    « Par tous les dieux vengeurs d’ici-bas !
jura Senenmout dont le char talonnait celui de Néhésy, pour qu’une roue se
détache ainsi, c’est que l’essieu a été desserré. Peste de satané crocodile !
Celui qui a fait ça mourra de mes propres mains ! »
    Il tourna sur la droite et vint cravacher ses
chevaux à côté de ceux de Thoutmosis qui essayait, en vain, de dépasser Youry
qu’on ne voyait plus. La seconde suivante, ils en comprirent la cause lorsqu’ils
virent son corps étendu sur la voie, offrant sa tête casquée à l’acharnement du
destin.
    Le corps gisait immobile. Néhésy frémit, les
roues de son propre char et celles de Thoutmosis ne purent l’éviter. Celles de
Senenmout l’accrochèrent plus violemment encore et il fut traîné jusqu’à ce
que, désarticulés, tranchés, les membres se détachent du corps.
    Blanc de rage et de crainte pour la vie d’Hatchepsout,
Senenmout jurait à voix basse, les yeux sortis de leurs orbites. Il jeta un
bref coup d’œil vers la police de Néhésy qui, sur les bas-côtés, essayait de
rétablir l’ordre dans la foule.
    Il reporta son œil de rapace sur le triste
spectacle qui lui faisait face. Un char disloqué, traîné par des chevaux
furieux que l’on ne pouvait plus maîtriser et qui enfermait le corps de sa
souveraine.
    Impuissant, son sang bouillait dans ses
veines. Il savait depuis longtemps qu’Hatchepsout avait des ennemis qui,
désormais, chercheraient à l’évincer du pouvoir. Mais, saccager son char et
attenter à sa vie représentait
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