L'histoire secrète des dalaï-lamas

Kagyu, du vivant du seizième karmapa. Le khenpo est alors son secrétaire particulier... Tous deux sont installés dans le bureau de Sa Sainteté Rangjung Rigpé Dordjé. Assis à un immense bureau tibétain, le karmapa écrit sur un parchemin à l’aide d’une longue plume de paon. Soudain, la plume lui échappe des doigts, tombe et roule sous le bureau. Choedrak Tempel se précipite. Le karmapa se retourne, le stoppe net dans son mouvement et lui dit : « Ne bougez pas ! C’est inutile !» Le khenpo assiste alors à une scène incroyable, surnaturelle, mais qui ne surprend guère : le karmapa qui se redresse, se penche sur son bureau, passe la main et une partie de son bras à travers l’entière épaisseur du plateau en bois, ramasse la plume de paon, se rasseoit et continue à écrire comme si rien ne s’était passé [132] . »
    Ce jour-là à New Delhi, le khenpo, devenu professeur du dix-septième karmapa Trinley Thayé Dordjé, se lance dans une étonnante explication : « Le karmapa et les êtres réalisés (comme le dalaï-lama) voient que le temps n’est qu’une illusion. Mais, ils voient aussi l’illusion dans laquelle nous nous trouvons. Afin de nous en libérer, ils utilisent le temps pour nous instruire à travers cette illusion. Même à l’âge qu’il a aujourd’hui (dix-huit ans au moment de cette rencontre avec l’auteur), le karmapa voit tout cela, et il le voyait il y a bien longtemps... En ce moment, le karmapa étudie, mais il n’a pas besoin de tout cela. Il le fait pour donner l’exemple, pour nous montrer comment faire pour nous libérer... Par rapport au temps, nous disons qu’il n’y a pas un présent existant de manière inhérente, car s’il existait ne serait-ce qu’un instant présent véritable, il y aurait de part et d’autre de cet instant présent d’autres instants véritables, et nous ne serions pas dans le temps, dont le propre est l’impermanence, mais dans l’éternité immuable [133] . »
    Point de magie chez les tulkus tibétains ! Point de sorcellerie ! Juste une parfaite connaissance de ce qu’est la réalité : nous sommes une illusion et tout ce qui nous entoure est illusion. Cela concerne aussi bien la plume de paon du seizième karmapa, le méditant pratiquant tummo , la chaleur mystique, sortant de son corps par cette méditation, pour ne pas sentir les coups de ses tortionnaires. Cela fut le cas de Tenzin Choedrak. Le médecin du dalaï-lama est un rescapé des laogaïs : en partie en utilisant les plantes et les racines que la nature lui offrait dans les champs où il travaillait ; et, en pratiquant tummo, un exercice secret de méditation, tandis qu’autour de lui des prisonniers réclamaient la mort, en l’écrivant de leur propre sang sur les murs de leur cellule. Ainsi, sur les soixante-douze Tibétains, transférés en octobre 1959, à Jiuzhen, il n’est resté que trois survivants ; et l’ensemble du camp de sept cents prisonniers a été décimé [134] .
    Même les scientifiques s’y sont longtemps cassé les dents ! Il y a d’ailleurs cette histoire, qui se déroule à Dharamsala d’abord, aux Etats-Unis ensuite. Un ami ermite de Tenzin Choedrak vit dans la montagne, à plus de 4 000 mètres d’altitude, au nord de McLeod, devenu Little Tibet. L’homme a atteint un tel niveau de réalisation que les chercheurs américains ont fini par s’intéresser à son cas. Ils se sont donc rendus au siège du gouvernement en exil, en Inde, et ont demandé au dalaï-lama de ramener l’ermite avec eux aux États-Unis, afin de le soumettre à un certain nombre d’expériences médicales. En plein hiver, par des températures variant de -15° à -30°, parfois davantage, l’ermite tibétain pratiquait tummo, ce qui lui permettait de maintenir, en permanence, son corps à la température de 37,5°. Chose étrange, autour de lui, à l’entrée de sa grotte, là où il pratiquait, la neige fondait. Aux États-Unis, les expériences effectuées sur l’ami de Tenzin Choedrak vont susciter l’étonnement. Retranscrites sur un document, une copie fut remise au dalaï-lama... De retour à McLeod, l’ermite demanda une audience à Tenzin Gyatso. Accordée ! Sa tâche était maintenant accomplie, et le souverain l’autorisa à rejoindre son ermitage. Cette bénédiction remplit l’homme de joie. Mais, quelques jours plus tard, on découvrit son corps. Il avait, à l’entrée de sa grotte, adopté la posture en sept points