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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier
Autoren: Armand Cabasson
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vous formulez parfois à l’encontre de certains choix de l’Empereur, conclut le prince.
    Il tourna une liasse de pages. Margont anticipa son commentaire.
    — Comme l’Espagne.
    — Effectivement. Je sais que vous vous êtes permis d’émettre une opinion selon laquelle l’occupation de l’Espagne serait une erreur.
    « Ah, la mauvaise foi des politiciens ! » pensa Margont. Car ce n’était plus le prince ou le général qui parlait, mais le diplomate soucieux de l’image de l’Empire. L’Espagne était en flammes, chaque paysan s’improvisait guérillero, des dizaines de milliers de Français étaient morts dans des embuscades, les jeunes filles se métamorphosaient à l’occasion en artilleurs, les habitants des cités assiégées pendaient ceux des leurs qui voulaient capituler, même les prêtres faisaient le coup de feu en soutane depuis leurs clochers... Mais officiellement, ce n’était pas une erreur d’avoir conquis l’Espagne et non, le nationalisme fanatique exacerbé par la ferveur mystique des Espagnols n’était pas un problème.
    — Eh bien voyez-vous, capitaine, je vous ai choisi pour trois raisons et l’une d’elles est l’Espagne.
    Et encore une mauvaise nouvelle portée par le vent espagnol. Ne s’en débarrasserait-on donc jamais, même ici, à l’autre bout de l’Europe ?
    — Primo, d’après Triaire, vous êtes doué pour les enquêtes. Secundo, vous n’êtes pas indispensable à la bonne marche de votre régiment. Et tertio, vous êtes un héros de la guerre d’Espagne durant laquelle vous avez été promu au rang d’officier de la Légion d’honneur. Ce dernier point vous facilitera la tâche et si, à la fin de vos investigations, je décide de révéler le nom de l’assassin, personne ne mettra en doute vos conclusions.
    Le prince se montrait désarmant de naïveté. Pour lui, il était évident que le coupable serait démasqué. Comment aurait-il pu en être autrement puisqu’il en avait donné l’ordre ?
    — Et quels prétextes donnerai-je pour pouvoir quitter mon régiment et me déplacer à ma guise, Votre Altesse ?
    Le vice-roi lui tendit deux documents.
    — Voici des laissez-passer. Le premier est signé par Triaire et suffit amplement à vous ouvrir bien des portes. Si jamais vous vous heurtiez à une autorité supérieure, vous utiliseriez le second qui revêt ma propre signature. Faut-il vous signifier que vous ne devrez utiliser ce document-ci qu’en toute dernière extrémité ?
    Margont parcourait des yeux les lignes dont les majuscules aux courbes gracieuses et démesurées n’atténuaient en rien la sécheresse des instructions. Le capitaine Margont était chargé d’une mission de la plus haute importance. Aucune question ne devait lui être posée quant à celle-ci. Il avait le droit de se rendre partout (le mot était souligné). On devait accéder dans les plus brefs délais à toutes ses demandes quelles qu’elles soient. En cas de litige au sujet desdites demandes, on devait obéir, mais on avait le droit de se plaindre auprès du signataire de cet ordre. Margont était sidéré. Ces deux feuilles le plaçaient – dans le cadre de son enquête – au-dessus d’un général de division.
    — Quelle sensation grisante procure le pouvoir... commenta sobrement le prince. Mais vous répondrez sur votre tête de l’utilisation que vous ferez de ces papiers. Que j’apprenne que vous les avez agités sous le nez d’un aristocrate russe pour réquisitionner son château afin de mener une vie de pacha ou que vous les avez exhibés pour tenter de séduire une belle en jouant les agents secrets aventuriers et c’est le peloton !
    — Que vais-je raconter à mon colonel ? Et à ceux à qui je devrai présenter ces ordres ? Car on me posera malgré tout des questions.
    — Faites donc comme Triaire, brodez ! Je crois vous avoir tout dit. Des questions ? Oui, vous en avez certainement. Eh bien gardez-les. Je me décharge de ce problème sur vous. Vous me tiendrez régulièrement informé de la progression de votre enquête. Et surtout : une discrétion absolue ! Vous pouvez disposer.
    Margont contemplait toujours les laissez-passer.
    — Ce sont des faux n’est-ce pas ?
    Le prince fut piqué au vif.
    — Plaît-il ?
    — Le secret vous est si cher que j’en déduis que ces documents sont des faux. Si mon enquête met en cause un puissant personnage et que l’affaire éclate au grand jour, vous aurez ainsi la
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