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Les Bandits

Les Bandits

Titel: Les Bandits
Autoren: E. J. Hobsawm
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cœrcition physique. Ce qui veut
dire que le recours à la force physique ou à la menace constituait le principal
mécanisme d’appropriation du surplus généré par ceux dont le rôle était de
produire la richesse (essentiellement en travaillant la terre) [19] . Ce n’est plus le
cas aujourd’hui, même si le pouvoir politique, c’est-à-dire la possibilité de
la cœrcition physique, est toujours au fondement du revenu que les États
parviennent à extraire de ceux qui résident sur leur territoire. Le refus de s’acquitter
de l’impôt est puni par la loi, et le refus d’obéir à la loi est, en dernière
instance, puni par la prison.
    Tout au long de l’histoire des sociétés agricoles, le
pouvoir politique auquel les communautés paysannes traditionnelles étaient soumises
en temps normal demeurait local ou régional. Les paysans vivaient sous l’autorité
de seigneurs, qui pouvaient disposer ou non des ressources conférées par les
alliances de sang ou la légitimité dérivée d’un principe surnaturel, et qui
pouvaient mobiliser des hommes et constituer des systèmes de clientèle et de
patronage. Lorsqu’ils existaient, les royaumes et les empires faisaient figure
de visiteurs occasionnels plutôt que de résidents permanents, même lorsque le
roi ou l’empereur parvenaient à remplacer les lois locales (ou à y suppléer) par
leurs propres lois et par des juges dont l’autorité s’étendait jusqu’aux
confins de l’État, comme dans l’Angleterre médiévale et (parmi ses sujets
sunnites) dans l’Empire ottoman. Outre le fait qu’il consistait pour l’essentiel
à faire figure de grand patron et de seigneur, l’essentiel de ce pouvoir royal
ou impérial ne tirait en effet son efficacité que des chefs implantés
localement qui se montraient plus disposés aux négociations qu’aux ordres
directs.
    Tout en étant conséquente, la puissance des seigneurs et des
États demeurait néanmoins intermittente. Cette faiblesse tenait au fait qu’ils
n’avaient pas les moyens matériels – ce qui comprenait tant la force que le
droit – de maintenir un contrôle
permanent
sur l’ensemble de leur population (y compris lorsqu’elle n’était pas armée), pas
plus qu’ils ne parvenaient à contrôler les zones les plus inaccessibles de leur
territoire. Cela restait vrai pour les potentats locaux, qui étaient pourtant
plus proches de leurs terres et de leurs sujets, à la différence des princes. Dans
tous les cas de figure, dans un monde où l’on ne comptait pas les rivalités
entre seigneurs ou familles, il existait toujours la possibilité de s’enfuir. L’institution
formelle du banditisme qui donne son nom aux « bandits » témoigne du
caractère superficiel de ce système de pouvoir. Si
tout un chacun
avait le droit de tuer un hors-la-loi, c’est
parce qu’aucune autorité n’était en mesure de le soumettre à sa loi.
    Si l’on prend en compte les États, le contraste est
particulièrement frappant. Au cours des deux siècles et demi qui se sont
écoulés, le pouvoir d’exercer un contrôle physique s’est trouvé de plus en plus
concentré dans l’État dit territorial ou « national », un État qui
peut prétendre à l’exercice d’un monopole quasi complet du pouvoir sur tout ce
qui se passe à l’intérieur de ses frontières, monopole rendu effectif par un
appareil administratif et un corps de fonctionnaires mandatés. L’appareil d’État
centralisé peut ainsi atteindre chaque individu se trouvant sur le territoire
national et, tout au moins dans les démocraties, chaque citoyen adulte ayant le
droit de voter fait sentir son influence jusqu’aux sommets de l’État en élisant
le gouvernement national. Les pouvoirs dont dispose un tel État sont immenses –
bien plus étendus que ceux des empires les plus vastes et les plus despotiques
d’avant le XVIII e siècle, y compris dans les
démocraties libérales. C’est en effet la concentration du pouvoir dans l’État
territorial moderne qui a eu raison du banditisme rural, qu’il fût endémique ou
épidémique. À la fin du XX e siècle, il semble que
cette situation touche désormais à sa fin, et il est difficile de prévoir les
conséquences de cette régression du pouvoir d’État.
    Nous avons tendance à oublier qu’avant le XIX e siècle, aucun État suffisamment étendu pour qu’on ne
puisse le traverser à pied en un jour ou deux ne savait avec certitude qui
vivait, naissait et
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