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Les Bandits

Les Bandits

Titel: Les Bandits
Autoren: E. J. Hobsawm
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mourait sur son territoire. Aucun État n’était en mesure d’identifier
les individus quand ils ne se trouvaient pas sur leur lieu d’origine, voire – comme
le montre l’étude que Natalie Davis a consacrée au cas de Martin Guerre [20] – quand bien même
ils étaient chez eux [21] .
Avant la naissance de ces précurseurs de la révolution des communications
modernes que furent les chemins de fer et le télégraphe, aucun État ne pouvait
savoir ce qui se passait sur ses confins les plus reculés, ni y dépêcher ses
agents rapidement. Aucun État ne pouvait prétendre contrôler ses frontières
avant le XIX e siècle, et aucun ne s’y essayait, à
supposer que le tracé de ses frontières ait été clairement établi. Aucun État d’avant
le XIX e siècle n’avait les moyens de maintenir une
force de police rurale efficace, susceptible d’agir comme l’agent direct du
gouvernement central, et couvrant l’intégralité du territoire. Jusqu’au XVII e siècle, aucun État européen à l’exception de l’Empire
ottoman n’avait la puissance nécessaire au maintien d’une armée nationale
permanente, directement recrutée, payée et administrée par le gouvernement
central. Pour autant que les rois et les princes préférassent réserver la
possession et l’usage des armes à leurs serviteurs directs, cela excédait en
effet leur pouvoir. Les paysans des sociétés féodales sédentaires étaient
largement désarmés – la situation était quelque peu différente dans les régions
frontalières, ou en période de troubles – mais tel n’était pas le cas de la
petite ou de la grande noblesse. Ce n’est qu’au XIX e siècle qu’un monopole d’État effectif sur les armes devint possible. À l’exception
de quelques cas notables, comme celui des États-Unis, les gouvernements
occidentaux les mieux établis s’efforcèrent d’en expurger la sphère des
activités privées, y compris celles de l’aristocratie : ils y parvinrent
au moins jusqu’aux années 1970.
    Avant le triomphe de l’État national moderne, l’exercice du
pouvoir était limité par l’incapacité des dirigeants à exercer un monopole de
fait sur les armements, à maintenir de façon permanente et en nombre suffisant
les effectifs d’un corps de soldats et de fonctionnaires, ainsi que, bien
entendu, par l’absence de systèmes d’information, de communication et de
transport techniquement adaptés. Quoi qu’il en soit, même dans les royaumes et
les empires les plus formidables, la force physique, qu’il s’agisse de celle
des dirigeants, des seigneurs de moindre envergure, ou même – comme dans le
grand film de Kurosawa,
Les Sept
Samouraïs
– celle des communautés villageoises qui tentaient de se
défendre, dépendait de l’existence de combattants que l’on pouvait mobiliser en
cas de besoin, et du fait que de tels hommes étaient disponibles de façon plus
ou moins permanente. À l’inverse, le pouvoir politique se mesurait au nombre de
guerriers qu’un chef pouvait mobiliser de façon régulière.
    C’est dans la faiblesse de ce pouvoir que résidait la
possibilité du banditisme. Même les empires les plus puissants, comme la Chine
ou l’Empire romain au sommet de sa gloire [22] ,
considéraient qu’un certain degré de développement du banditisme était normal, et
endémique dans les zones pastorales frontalières et les autres régions qui lui
étaient propices. Toutefois, lorsque la structure du pouvoir était stable et qu’ils
ne pouvaient s’y soustraire totalement, le gros des effectifs potentiels du
banditisme avaient tendance à se mettre au service de ceux qui étaient
susceptibles de les récompenser : ils se chargeaient alors des enlèvements,
des assassinats commandités ou des actions de police pour le compte des
seigneurs, ou se mettaient au service de l’État en devenant soldats, gardes ou
policiers. Le banditisme ne se transforme en phénomène de masse – c’est-à-dire
le fait de groupes violents et en armes agissant de façon autonome – que là où
le pouvoir est instable, absent ou en train de s’effriter. C’est dans des
situations de ce genre que le banditisme est devenu épidémique, voir pandémique,
comme cela s’est parfois produit en Chine entre la chute de l’empire et la
victoire des communistes. Au cours de telles époques, des meneurs de bandes
autonomes pouvaient eux-mêmes passer du côté du pouvoir véritable, à l’instar
des tribus de cavaliers
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