Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

sérénité. Elle y était
bien traitée, bien soignée. Et surtout, ici, personne n’attendait rien d’elle.
Aucun souci, aucune responsabilité, ne pesait sur ses frêles épaules. Pour la
première fois de sa vie, elle se sentait apaisée.
    Plus
souvent qu’elle ne l’aurait souhaité, une visite de son époux venait troubler
le cours paisible de sa nouvelle existence. Il s’asseyait en face d’elle,
prenait sa main et lui parlait longuement, avec douceur. Parce qu’il lui
faisait de la peine, elle supportait stoïquement sa présence. Elle n’avait
qu’une hâte cependant : qu’il s’en aille et emporte avec lui ce passé qu’elle
abhorrait.
    Quand
il partait enfin, un sourire éclairait le pâle visage de Charity. Ses paupières
s’abaissaient, et elle savourait sa liberté retrouvée.
    *
    La
porte de fer de l’asile se referma derrière Clayton avec un grincement
métallique. Il demeura un instant les yeux levés vers la fenêtre de la chambre
de Charity, comme s’il guettait un signe de sa part. Puis il se dirigea à pas
lents vers la route.
    Stationnée
au bord de la chaussée l’attendait une voiture fermée. À l’approche de Clayton,
un postillon sans livrée sauta du haut de son siège pour lui ouvrir la
portière. L’inspecteur grimpa dans l’attelage et prit place sur la banquette de
cuir sous l’œil acéré de lord Westbury. Les deux mains appuyées sur le pommeau
de sa canne, celui-ci l’observa d’un air inquisiteur ; dans la pénombre de
la voiture, son monocle lançait des reflets glacés.
    –  Mr.
Blake, j’ai étudié votre rapport sur la Transylvanie, dit-il enfin en prenant
un dossier posé sur la banquette près de lui. Je dois admettre qu’à la lecture de
certains passages, je n’étais pas loin de croire qu’il fallait vous faire
enfermer avec votre femme.
    –  Je
relate les choses telles qu’elles se sont passées, rétorqua Clayton, à peine
aimable.
    –  Du
moins votre rapport comporte-t-il une excellente nouvelle : la mort de
l’âme damnée de William Rutherford.
    –  Vous voulez parler de
Nicholas Ferguson ?
    –  En
effet, même si ce n’était pas son véritable nom. Il travaillait de longue date
pour William… Et ce Livre d’émeraude, poursuivit-il après un silence, de quoi
s’agissait-il exactement ?
    –  D’un
ouvrage relatif à l’alchimie d’après ce que j’ai compris, mais je n’en sais pas
davantage car toutes les pages étaient vierges.
    –  L’alchimie,
répéta Rupert d’un ton méprisant. Encore une lubie de William… Nous pensions
démanteler l’Astrum, un réseau de conspirateurs, c’est d’ailleurs pour cette
raison que je vous ai fait confier l’enquête, et nous nous retrouvons
confrontés à une vengeance d’outre-tombe… Mais William en ressort affaibli, et
c’est là le principal. La mort de ses comparses le prive d’alliés précieux dans
le pays.
    Rupert reposa le dossier
sur la banquette.
    –  Et
ce journaliste, Jeremy Shaw, a-t-il renoncé à enquêter sur moi ? Il
pourrait me compromettre…
    –  Rassurez-vous,
il ne vous soupçonne plus d’être lié aux meurtres à présent que l’affaire est
résolue.
    –  Dans
le cas contraire, il faudrait envisager certaines mesures.
    –  Ce ne sera pas
nécessaire, le coupa Clayton.
    –  Que
se passe-t-il, Mr. Blake ? Auriez-vous des problèmes de conscience ?
    Rupert
se pencha pour écarter le rideau de la fenêtre et contempla l’asile de
Reinfield.
    –  Votre
femme bénéficie ici des meilleurs soins possibles. Préféreriez-vous la voir
croupir toute sa vie dans un de ces sordides asiles publics ou dans une cellule
infecte de la prison de Newgate ? Les juges ne sont guère indulgents en
matière d’infanticide…
    Il
s’interrompit une seconde, son regard gris teinté de mélancolie, avant de
poursuivre avec condescendance :
    –  Vous
êtes un excellent policier, Mr. Blake, vous l’avez prouvé à maintes reprises,
et j’ai besoin d’hommes tels que vous pour repousser le péril qui pèse sur le
royaume. Je sais que les moyens que nous utilisons semblent parfois
discutables, mais je peux vous assurer qu’ils sont seuls à la mesure de
l’ennemi que nous combattons.
    Clayton acquiesça,
vaincu.
    –  Parfait,
se réjouit Rupert, et n’oubliez jamais que vous servez votre pays.
    L’inspecteur ouvrit la
portière, prêt à partir.
    –  Attendez, le retint
Rupert. Et Cassandra Ward ?
    Clayton réprima un
soupir ; il