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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi
Autoren: Jacques Baudouin
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Compagnie du Yangzi n’est pas de tout repos pour Olympe. Maintenir son rang, se faire respecter, conserver ses clients est un combat permanent contre les autres Shanghailanders, britanniques, américains ou allemands qui rêvent tous de mettre la main sur l’empire Esparnac, l’une des plus belles affaires de la concession française, et sur son plus beau joyau, Olympe elle-même. À Shanghai, elle est la seule femme qui ose tenir tête aux hommes et revendiquer la même place qu’eux dans le monde des affaires, la seule à avoir sa table réservée au Shanghai Club. Mais elle a gagné leur respect: la Reine du Yangzi, ainsi qu’ils l’ont baptisée, fait preuve d’assez de courage pour affronter le Fleuve et livrer elle-même ses clients à bord d’un de ses bateaux.
    —Rien ne vaut le contact direct, répète-t-elle à son comprador et associé, Joseph Liu, à qui elle vient d’annoncer qu’elle partira dans quelques jours pour Nankin sur leur plus grosse jonque, la Cheng Gong .
    — Courir de tels dangers n’est vraiment pas nécessaire, surtout pour une femme, insiste-t-il. Que voulez-vous prouver à nos clients?
    — Rien, Joseph. Je veux seulement mériter leur confiance. C’était le maître mot de Charles et, de ce qu’il m’a appris, il est le plus important. Si nous voulons conserver nos clients, le lien direct, la connaissance et le respect mutuels sont notre meilleure arme contre la concurrence.
    — Ce n’est pas une raison pour prendre des risques inconsidérés, répond Joseph Liu. Le Yangzi n’est jamais sûr, les pirates sont plus menaçants que jamais et le fleuve a toujours ses dangereuses humeurs, surtout avant la saison des hautes eaux. S’il vous arrive quoi que ce soit, que deviendront vos enfants? Et la Compagnie?
    — Il ne m’arrivera rien, Joseph! Et, dans le cas contraire, je suis certaine que vous sauriez parfaitement éduquer Louis et Laure avec l’aide de Marie-Thérèse, répond Olympe joyeusement. Quant à la Compagnie, je vous fais toute confiance pour la faire prospérer avant de la transmettre à nos héritiers respectifs.
    Le comprador s’adosse contre son fauteuil en soupirant, fataliste.
    — Je n’arrive pas à comprendre que vous soyez aussi inconsciente.
    — Vous savez très bien pourquoi, rétorque Olympe en posant sa main sur celle du Chinois où luit l’étui d’argent qui protège l’ongle long de son index. J’ai perdu Charles il y a cinq ans et j’ai tué de mes mains celui qui l’a fait assassiner. Ce ne sont pas des choses faciles à vivre pourune femme. Elles vous font prendre conscience de la fragilité de l’existence. Depuis, je sens que ma vie ne m’appartient plus, même si j’ai la certitude qu’elle durera longtemps, très longtemps. Croyez-le ou non, voyez-y ou non un signe de foi en quelque chose qui me dépasse – Dieu peut-être –, c’est ainsi. Mes enfants, vous et Marie-Thérèse êtes ce que j’ai de plus cher au monde, mais, à vrai dire, je n’ai rien d’autre au monde et je sais intimement que je ne vais pas vous perdre en m’aventurant sur le Yangzi.
    — Raison de plus pour nous préserver.
    — Ne pas prendre de risques n’a jamais protégé personne, conclut-elle en lui donnant un baiser sur la joue.
    Comme chaque fois, Joseph Liu tressaille. Il ne s’y habituera jamais. C’est qu’on n’embrasse pas dans l’empire du Milieu.
     

 
     
     
     
     
     
     
    2.
     
     
     
    Quelques milles après Shanghai, la passe de Wousong est toujours délicate à franchir: les eaux jaunes du Huangpu se jettent dans l’estuaire du Yangzi et les courants contraires bousculent dangereusement la jonque quand le vent du large ne souffle pas assez fort. Ce n’est pas le cas, ce matin-là, et Olympe, agrippée au mât de misaine de la jonque, s’amuse des bonds du bateau et des craquements de la coque. À l’est, les premières lueurs de l’aurore inondent lentement de sanguine le ciel encore très noir. «Pourquoi ne prenez-vous pas plutôt le Charles ?» lui a demandé Joseph Liu la veille, au moment de quitter les bureaux de la Compagnie, dans une dernière tentative de la ramener à la raison. Le Charles est le plus puissant des quatre steamers qu’Olympe a fait construire, au rythme d’un par an, depuis qu’elle a pris les rênes de la société. «Parce que la Cheng Gong est notre dernière jonque, que nous allons nous en séparer et que je veux accompagner son ultime voyage en souvenir de Charles.
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