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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi
Autoren: Jacques Baudouin
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aurait manifesté davantage la puissance de la France que celle, pléthorique, des missionnaires.
    C’est seulement quand la Cheng Gong embouque le fleuve, après l’île de Chongming, qu’Olympe, fatiguée, rejoint la passerelle. Avant de descendre dans sa cabine, elle adresse un petit signe complice au lao tai qui tient la barre. Zhao Fu est son plus jeune capitaine et le plus dévoué. Il est l’un de ces orphelins dont elle s’est occupée naguère et qu’ont formé au métier ses marins les plus expérimentés. Avec lui, elle sait qu’ils arriveront en temps voulu à Nankin pour prendre livraison de la cargaison de soja qu’elle doit rapporter à Shanghai. Son plus gros client lui en a passé commande par télégramme il y a quelques jours et elle n’a pas droit au moindre retard, même si elle détient l’exclusivité du transport de soja entre les deux villes. C’est Joseph Liu qui a négocié ce magnifique contrat, un an plus tôt, avec les producteurs de Nankin et leurs clients de Shanghai. Renouvelable chaque année, il rapporte déjà de confortables bénéfices à la Compagnie du Yangzi. À condition de tenir parole sur les dates tant les variations de prix sur le marché du soja peuvent affecter les conditions d’achat et de vente du jour au lendemain.
    Enfermée dans la cabine où Charles venait lui aussi dormir et tenir le journal du bord, elle se sent apaisée pour la première fois depuis longtemps. L’indéfinissable odeur du bois humide, du goudron de calfatage, mêléeau parfum de l’encens et aux effluves laissés par toutes les caisses et balles de thé, de coton, d’opium aussi, de soja désormais que la Cheng Gong a transportées depuis tant d’années l’enivre un peu mais c’est la présence invisible de son mari disparu qui la comble. Plus que dans son bureau ou sa chambre, c’est dans cette cabine étroite qu’elle perçoit le mieux l’amour toujours vivant de Charles. Il est encore là, près d’elle, il la protège, elle le sent, sa photo fixée à la paroi de bois au-dessus de la table minuscule lui sourit. Elle peut s’endormir tranquille, il veille.
     
    *
     
    À Nankin, les représentants de la Guilde des producteurs de soja réservent à Olympe un accueil dont elle se souviendra des années plus tard. Sur les quais immenses où triment des milliers de coolies, bêtes de somme soumises à toutes les corvées pour avoir de quoi manger, la Cheng Gong vient s’amarrer après trois jours et trois nuits passés à remonter le Fleuve. Une impressionnante délégation l’attend avec un palanquin doré à quatre porteurs, un orchestre et une escouade de porte-étendards revêtus de l’uniforme de la Guilde, la plus puissante de la ville. On a écarté du quai d’honneur les sampans qui l’encombraient pour faire place à la grande jonque de la Française. À peine Olympe pose-t-elle le pied sur le sol que plus d’une centaine de Chinois s’aplatissent devant elle et posent leur front contre le sol. Un seul est resté debout, le maître de la Guilde qui lui souhaite la bienvenue dans un discours ampoulé dont elle est loin de comprendre tous les mots. Peu importe le sens, ce qui compte c’est le rituel ancestral qui lui commande maintenant de répondre par une grande déclaration d’amitié, de respect pour laGuilde et son président comme pour la grande Chine impériale dont les Blancs sont de modestes invités. Discours si touchant que la délégation, contrairement aux usages, l’applaudit sur un signe du maître.
    Puis l’on déroule un tapis qui la mène jusqu’au palanquin, on en tire le lourd rideau de soie, on aide Olympe à y monter et à s’installer sur les coussins épais, et aussitôt le cortège s’ébranle, précédé par les crieurs et un tintamarre de gongs, de cloches, de tambours et de flûtes qui fend la foule des badauds venus voir passer celle que, de Shanghai jusqu’à Ichang, on appelle respectueusement la Reine du Yangzi.
    Le yamen où elle pénètre après un périple qui lui a fait traverser toute la ville témoigne de la richesse de la corporation. Succession de pièces d’apparat, de cabinets de travail, de longs couloirs ambrés desservant salons de bois précieux, chambres et terrasses. Conduite dans un vaste temple, Olympe découvre les tablettes des ancêtres fondateurs, les tortues de longévité en marbre, un bouddha souriant et ventru qui a l’air satisfait des offrandes déposées à ses pieds boudinés, une large
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