La malediction de la galigai
tombé à terre, Petit-Jacques surveillait les opérations lorsque le troisième carrosse apparut à grandes brides. Le cocher avait entendu les coups de feu et fouetté ses bêtes. Pistolet dans une main et flambeau dans l'autre, le Prévôt se porta naturellement au-devant du véhicule et s'apprêtait à tuer le cocher quand il reconnut les armes inscrites sur la portière.
Tilly ! C'était Tilly ! Le diable venait de lui livrer son ennemi !
*
Dans la voiture, Gaston et Louis avaient saisi leurs armes. Ils ignoraient que Bauer, qui les suivait, s'était arrêté à la barrière des sergents où il avait reconnu un camarade dans l'officier de garde. Bien sûr, au bruit de la pistolade, il s'était précipité, mais il se trouvait encore loin.
Tilly mit la tête à la fenêtre de la portière. Malgré l'absence de barbe, il reconnut immédiatement le visage de Mondreville éclairé par le flambeau.
Et sans hésiter, fit feu, visant la poitrine.
Petit-Jacques, éberlué, reçut la balle à bout portant, dans l'épaule gauche, ce qui lui brisa la clavicule. Sous la violence du choc, il perdit l'équilibre et laissa tomber arme et flambeau. Déjà Gaston sortait et dégainait pour l'achever.
*
Mais le bandit, aiguillonné par l'énergie du désespoir qui l'avait si souvent sauvé, n'était pas tombé à terre malgré la douleur. Il tituba un instant, tourna le dos à Tilly et s'enfuit vers ses complices pour saisir un cheval.
Seulement, au coup de feu, les truands s'étaient débandés et les chevaux éloignés. Et, dans la nuit, les montures devenaient invisibles. Lorsque Petit-Jacques heurta une caisse servant d'estrade à un charlatan pour vanter ses drogues, comprenant que dans un instant, Tilly serait sur lui, il grimpa sur la boîte, puis, de là , sur le parapet et sauta dans le fleuve.
Gaston arriva sur lui à l'instant où il disparaissait.
â Qui était-ce ? interrogea Louis qui avait rejoint son ami et n'avait pas compris ce qui s'était passé.
â Petit-Jacques ! Mondreville !
Tilly monta à son tour sur l'estrade et tenta de scruter l'eau. On ne voyait rien et on entendait seulement les flots qui rugissaient et les glaçons qui heurtaient les piles avec violence.
â Où est-il ? demanda louis.
â Je l'ai touché, mais seulement blessé. Il a sauté.
â Dans l'eau ? Mais elle charrie des glaçons !
â Je sais, il doit être mort à cette heure.
Bauer les rejoignit à ce moment.
â Que s'est-il passé ? Ãtes-vous saufs ?
En quelques mots, Gaston expliqua la scène. Puis ils se tournèrent vers le carrosse de Condé. Les domestiques avaient allumé une lanterne et l'un d'eux examinait le laquais atteint par le premier coup de feu.
â Est-ilâ¦Â ? demanda Louis.
â Oui, monsieur, il est mort. Qui étaient ces gens ?
â Des gueux⦠Des truands⦠répondit Gaston.
1Â Colonel de la milice urbaine.
2 Cette lettre, qui est aux Archives, commençait ainsi : « Monseigneur,« Je dépêche, par ordre de la reine, ce gentilhomme à Votre Altesse Royale pour l'informer de ce qui s'est passé ici ce matin, quoique je ne doute point qu'elle n'en ait déjà eu quelques avis. Un inconnu a tiré un coup de pistolet à Joly, conseiller du Châtelet, qui est un de ceux qui paraissent le plus dans le syndicat des rentesâ¦Â » La lettre ajoutait que Joly n'était point blessé, que le peuple n'avait ni branlé ni remué, et le ministre ajoutait qu'il remettait le surplus à la vive voix du gentilhomme porteur de la lettre.
3 Voir La Conjecture de Fermat , du même auteur.
4 Louis XIV devenu roi, Toussaint Rose gardera le droit de signer de la main du roi.
5 Singe fort célèbre appartenant à un arracheur de dents. Ils étaient nombreux sur le pont Neuf.
6 Il s'agit de la pompe à eau.
7 La statue d'Henri IV à cheval.
51
F ronsac, Tilly et Bauer reprirent le chemin du palais d'Orléans en suivant le carrosse de Condé transportant le laquais mort. Au palais, ils durent encore attendre près d'une heure avant que le Prince, que l'on saignait, ne les reçût. Ils lui remirent la lettre du cardinal, puis
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